La disponibilité des ONG face à l’épidémie d’Ebola : une feuille de route pratique
- Issue 77 La réponse à l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo
- 1 Épidémie d’Ebola et innovation : étude de l’approche adoptée pour l’épidémie au Nord-Kivu
- 2 Une norme complète, décentralisée et intégrée en matière de qualité des soins pour réduire la mortalité liée au virus Ebola
- 3 Priorité à la communauté : la clé pour endiguer l’épidémie d’Ebola
- 4 N’a-t-on rien retenu ? Chefs religieux et organisations confessionnelles dans le contexte de la réponse à l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo
- 5 Deuil et commémoration : aider les familles touchées par l’épidémie d’Ebola à faire leur deuil
- 6 Remplacer le langage de la peur : langue et communication dans la dernière réponse en date à l’épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo
- 7 Ce que nous apprennent les adaptations sur l’instauration de la confiance, ou comment reporter le fardeau du changement de la population sur la réponse
- 8 L’engagement communautaire : la solution pour des recherches fructueuses sur le virus Ebola
- 9 Santé sexuelle et génésique dans le cadre de la réponse à l’épidémie d’Ebola : une priorité négligée
- 10 La disponibilité des ONG face à l’épidémie d’Ebola : une feuille de route pratique
- 11 Élaboration d’un outil d’analyse des lacunes pour améliorer l’acceptation et la conformité du vaccin anti-Ebola en Afrique subsaharienne
- 12 L’évolution d’un cadre de suivi pour la réponse à la flambée d’Ebola dans les provinces du Kivu et de l’Ituri en 2018–2019
- 13 Sécurité et accès en République démocratique du Congo : mise en place d’une stratégie d’acceptation dans la réponse à l’épidémie d’Ebola
La flambée d’Ebola dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) déclarée le 1er août 2018 s’est révélée être la deuxième plus dévastatrice depuis son apparition. La RDC présente des frontières communes avec neuf pays, tous fortement exposés à une flambée du virus étant donné les mouvements transfrontaliers réguliers de population, de biens et de services dans la région. Les organisations non gouvernementales (ONG) jouent un rôle de plus en plus crucial dans les réponses à Ebola, puisqu’elles contribuent de façon complémentaire aux actions des gouvernements nationaux et des agences onusiennes. Pour autant, il existe peu de directives permettant aux ONG de se préparer à Ebola.
Les flambées d’Ebola peuvent, à bien des égards, mettre à mal les capacités des ONG. La préparation au virus est un processus complexe qui implique un grand nombre de services, à tous les niveaux de ces organisations. La liste de contrôle consolidée pour se préparer à faire face à la maladie à virus Ebola (MVE), publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), est destinée aux gouvernements nationaux prenant des dispositions liées au virus. En tant que telle, elle ne tient donc pas entièrement compte des actions inter-services et axées sur plusieurs domaines, requises au sein des ONG. De plus, les plans et approches de préparation déjà existants parmi les ONG, qui adoptent habituellement une démarche tous risques, ne sont pas en totale adéquation avec la préparation requise pour un risque spécifique et imminent tel qu’une flambée d’Ebola.
L’International Rescue Committee (IRC, le comité international de secours) dispose de bureaux nationaux et de programmes préexistants dans cinq des neuf pays à haut risque. Afin d’aider ses programmes nationaux en place dans ces pays, l’IRC a élaboré une feuille de route dédiée à la disponibilité face à l’épidémie d’Ebola, structurant les actions de préparation à Ebola. Le présent article analyse l’approche de l’IRC à l’égard de la disponibilité dans le contexte d’Ebola dans ces pays à haut risque, et présente la feuille de route comme l’une des références pour les pratiques opérationnelles des ONG qui se préparent à une flambée.
Le parcours de préparation à Ebola de l’IRC
L’approche de l’IRC à l’égard de la préparation à Ebola a évolué au fil de la flambée dans l’est de la RDC. Au début, on n’observait aucune vision ni attente claires pour les programmes nationaux de l’IRC dans les pays voisins exposés, et aucun outil de préparation spécifique à Ebola n’existait pour les aider. L’approche initiale en matière de préparation à Ebola comprenait des réunions avec les responsables de programmes nationaux pour aborder les actions globales et les recommandations générales sur la sensibilisation et la sécurité du personnel. Là où l’IRC disposait de programmes sanitaires dans un pays, l’organisation émettait des directives au sujet du renforcement de la surveillance et de la prévention et du contrôle de l’infection (PCI), à l’aide de ressources en ligne de l’OMS. Toutefois, les programmes nationaux avaient de multiples projets en cours dans divers secteurs, et il était difficile de définir, choisir, segmenter et concrétiser les actions. Environ 10 mois après le début de la flambée et suite à des requêtes des programmes nationaux en faveur d’outils pratiques qui définiraient des actions ciblées et concrètes à réaliser pour se préparer à Ebola, l’IRC a élaboré une liste de contrôle pour la préparation à ce virus. La première version de la liste se fondait sur l’expérience opérationnelle que l’IRC avait acquise en répondant à Ebola en Sierra Leone et au Liberia lors de la flambée de 2014–2016, en RDC en 2018 et lors de la flambée actuelle dans le Nord-Kivu et l’Ituri. Elle comprenait des composantes et des mesures visant à permettre aux programmes nationaux d’intensifier rapidement leurs programmes liés au virus, et de les exécuter en toute sécurité.
Après avoir été appliquée au sein de l’IRC dans les pays exposés, la liste de contrôle a été mise à jour pour refléter les commentaires recueillis et les enseignements tirés, qui abordaient notamment la manière de préserver en toute sécurité les programmes existants tout en se préparant à répondre précisément à Ebola. Mais il était aussi et surtout question de la nécessité d’attribuer un ordre de priorité aux actions de cette liste en tenant compte de la diversité des projets et des nombreuses priorités concurrentes rencontrées par les programmes nationaux, ainsi que de la nécessité de disposer d’outils plus simples, de ressources et d’exemples réels qui faciliteraient la mise en œuvre.
Figure 1 : la feuille de route dédiée à la disponibilité face à Ebola
La révision de la liste de contrôle a donné lieu à l’élaboration de la feuille de route dédiée à la disponibilité face à l’épidémie d’Ebola. Dans le cadre de cette révision, une distinction a été faite dans la terminologie, entre « Ebola preparedness » (préparation à Ebola) et « Ebola readiness » (disponibilité face à Ebola), des termes souvent utilisés de façon interchangeable. L’IRC compte actuellement des programmes dans 12 pays exposés à des flambées d’Ebola. C’est pourquoi nous souhaitions différencier les programmes nationaux où Ebola représente un risque potentiel de ceux où il est un risque réel. Cela permettrait à l’IRC d’agir de manière plus proportionnelle pour soutenir les programmes nationaux sur le plan des risques encourus. Nous avons choisi de définir la disponibilité face à l’épidémie d’Ebola comme l’ensemble des actions entreprises par les pays exposés en réaction à une flambée d’Ebola confirmée (risque imminent). On peut atteindre cette disponibilité en appliquant la feuille de route de l’IRC qui y est dédiée, et elle est mise en œuvre par les programmes nationaux de l’organisation dans les pays jouxtant une flambée d’Ebola active.
Feuille de route de l’IRC dédiée à la disponibilité face à Ebola
Ce document vise à faciliter la réalisation efficace des actions de disponibilité face à Ebola par les programmes nationaux de l’IRC. Il peut être employé par ces derniers en vue d’évaluer leur niveau de disponibilité et de repérer les principales lacunes. La feuille de route couvre les domaines systémique, structurel et fonctionnel requis pour une disponibilité efficace, et est séparée en deux phases distinctes, chacune comportant un ensemble d’actions spécifiques (figure 1).
Figure 2 : volets de la sécurité du personnel
La phase 1, axée sur la continuité des activités, compte 30 actions réparties sur sept composantes. À la fin de cette phase, les programmes nationaux de l’IRC sont censés être à même de poursuivre sans risque leurs programmes du moment dans un contexte de flambée de MVE. La priorité est à la continuité des programmes préexistants, tout en ayant conscience des répercussions globales des flambées d’Ebola. Les actions de la phase 1 sont, entre autres, l’établissement d’un lien avec les mécanismes externes et existants de coordination face à Ebola, et la création de systèmes de coordination internes. Une évaluation des risques du programme est menée pour l’ensemble des activités des programmes nationaux, afin d’identifier les mesures d’atténuation à prendre pour réduire les risques associés aux programmes du moment en cas de flambée d’Ebola. Du point de vue opérationnel, les actions de cette phase se concentrent sur l’optimisation des fonctions de soutien existantes. Elle est axée sur la sécurité du personnel de l’IRC, pour s’assurer qu’il dispose des connaissances et du matériel nécessaires pour travailler sans risque, et que l’organisation a instauré les politiques et mesures de précautions adéquates afin de soutenir le personnel et d’atténuer les risques. La sécurité du personnel comporte différents volets (figure 2), chacun divisé en actions correspondantes.
La phase 2 de la feuille de route est axée sur les programmes liés à Ebola et inclut 33 actions réparties sur cinq composantes. À la fin de cette phase, les programmes nationaux de l’IRC mettent activement en œuvre des programmes qui contribuent à la prévention d’une flambée d’Ebola ou qui atténuent ses conséquences, et l’IRC est en bonne position pour intervenir rapidement en cas de flambée. Pendant cette phase l’organisation réfléchit notamment à la façon dont ses programmes nationaux peuvent utiliser et exploiter les programmes existants, intensifier ces programmes ou en lancer de nouveaux. Les actions de la phase 2 comprennent une analyse et une identification des composantes de la réponse à une flambée auxquelles les programmes nationaux de l’IRC peuvent participer. L’approche de l’IRC à l’égard des programmes portant sur Ebola s’inscrit dans les secteurs de la santé, de l’eau, l’assainissement et l’hygiène (WASH, de l’anglais water, sanitation and hygiene) et de la protection, et place l’engagement communautaire au cœur de l’ensemble. Les programmes nationaux déterminent une stratégie et un budget qui englobent les interventions initiales d’une réponse rapide. Les actions de cette phase sur le plan opérationnel se concentrent sur l’intensification et le renforcement des fonctions de soutien de l’IRC, dont la logistique, l’approvisionnement, les ressources humaines et les finances. Il s’agit par exemple de repérer et d’identifier des fournisseurs supplémentaires pour le logement, le transport et le matériel, d’estimer la capacité des entrepôts, de déterminer les exigences en matière de soutien d’urgence, et d’adapter les politiques de RH.
La feuille de route aborde la disponibilité du point de vue des programmes, mais aussi les principales fonctions opérationnelles et logistiques. Elle est conçue pour être appliquée par étapes, et les programmes nationaux doivent commencer au minimum par les actions de la phase 1 étant donné l’accent mis sur la sécurité du personnel et la continuité des activités. La décision de mettre en œuvre ou non les actions de la phase 2 revient à chaque programme national à l’échelle du pays, en tenant compte de la capacité interne et externe à répondre à Ebola ainsi que des possibilités de financement permettant de concrétiser les programmes dédiés au virus. Par ailleurs, les actions que comprend la feuille de route équilibrent le besoin de ressources financières dédiées, dont l’absence peut être un obstacle aux mesures de disponibilité. De nombreuses actions sont réalisables sans ressources financières supplémentaires. Elles requièrent néanmoins du temps de travail et des efforts ; ce sont donc des raisons supplémentaires pour donner un ordre de priorité à ces actions en les classant par phase.
La feuille de route prend la forme d’un outil Excel. L’ensemble des actions constitue une liste de contrôle, répartie en phases et en composantes. Des conseils sont apportés au sujet des acteurs à mobiliser pour chaque action, et des outils et ressources pertinents pour chacune d’elles (exemples à l’appui) sont associés à des hyperliens. Une colonne indique la progression, permettant aux programmes nationaux de suivre les actions terminées, en cours ou non commencées. Ce document calcule automatiquement des scores qui indiquent l’avancement au fil du temps. Il inclut en outre un modèle qui facilite la réalisation des actions, et qui permet de déterminer l’aide supplémentaire requise par les programmes nationaux auprès des équipes régionales et mondiales de l’IRC. La boîte à outils Ebola de l’IRC, qui consiste en une série de directives et de ressources opérationnelles et techniques ainsi que de points essentiels sur le thème du virus, accompagne la feuille de route et contribue à sa mise en pratique.
Enseignements tirés de la mise en œuvre
Suite à la mise en œuvre de la feuille de route pour la disponibilité face à Ebola, entre une évaluation de référence selon la liste de contrôle en juillet 2019 et une réévaluation en novembre 2019, l’IRC a observé des améliorations (hausse de 18 % en moyenne) au niveau des scores de disponibilité face à Ebola dans les cinq pays voisins exposés à un haut risque. Des variations sont à noter dans la progression globale ainsi qu’entre les pays, en raison de plusieurs facteurs et problèmes :
- Disponibilité des outils et ressources : la feuille de route dédiée à la disponibilité a été appliquée un an avant le début de la flambée en RDC. Cela a eu des conséquences sur les progrès qu’avaient réalisés les programmes nationaux sur le plan de cette disponibilité dans son ensemble, car les actions portant sur celle-ci ont commencé tardivement. De plus, la boîte à outils Ebola a été développée en parallèle de la feuille de route, d’où un retard dans l’accès à des directives, outils et ressources techniques contribuant aux premières actions de préparation et de disponibilité. L’absence de cadre précis engendrait en outre différents degrés de motivation à s’impliquer en premier lieu dans des efforts en matière de disponibilité.
- Variations du soutien technique : certains programmes nationaux ont reçu des visites et bénéficié d’une aide technique afin de familiariser le personnel de programme à la feuille de route et de superviser certaines actions essentielles intégrées dans cette dernière. Ces visites ont été essentielles pour garantir que tout le personnel concerné avait une compréhension basique des mesures liées à Ebola et à la disponibilité en la matière. Des différences ont été observées quant aux scores de disponibilité entre les programmes nationaux qui ont reçu des visites au sein des pays et ceux qui ont bénéficié d’une aide technique exclusivement à distance. Dans ce cas-ci, la compréhension basique était inférieure, impliquant souvent des capacités moindres et une plus faible priorité accordée aux actions en lien avec la disponibilité. Par exemple, l’aide technique apportée à l’IRC en Tanzanie à l’échelle du pays a amélioré les scores de disponibilité de 19 % (score de référence) à 50 % en novembre 2019. De même, les scores de l’IRC au Burundi ont enregistré une hausse de 16 % (référence) à 47 % en janvier 2020, grâce à l’aide technique apportée à l’échelle du pays.
- Financement : des différences ont aussi été notées sur le plan des scores de disponibilité face à Ebola et du niveau de financement reçu à cette fin. Seul l’un des cinq pays voisins exposés à un haut risque (l’Ouganda) a reçu un financement externe pour ses actions dans ce domaine. Deux d’entre eux ont bénéficié de fonds internes à petite échelle (le Burundi et la Tanzanie). Même lorsqu’il était possible d’obtenir un financement, l’absence de cadre précis empêchait les programmes nationaux de formuler les besoins en matière de disponibilité avec une précision suffisante ou de développer les propositions suffisamment rapidement pour en tirer profit. L’accès à une aide financière affecte la progression lors de la phase 2 de la feuille de route dédiée à la disponibilité puisque les actions de cette phase sont axées sur les programmes liés à Ebola. Par ailleurs, l’aide financière dédiée aux mesures de disponibilité face au virus est elle aussi indispensable pour préserver les engagements déjà pris et l’implication continue vis-à-vis des stratégies dans ce domaine. Un grand nombre de ces contextes présente également des priorités concurrentes concernant des facteurs humanitaires complexes et des actions de réponse.
- Fatigue due aux mesures de disponibilité : étant donné la durée de la flambée en RDC et les nombreuses priorités concurrentes, une fatigue s’est installée dans l’ensemble des programmes nationaux sur le plan de la disponibilité. L’IRC a adapté les approches et le soutien à ces programmes afin de préserver l’intérêt pour la disponibilité face à Ebola, en modifiant la fréquence des appels à la disponibilité de deux fois par semaine à une fois par mois, en développant un soutien ciblé pour chaque pays, en priorisant les actions réalisables dans le cadre plus vaste du travail de chaque programme national et en rationalisant l’aide au moyen de points clés à l’échelle nationale concernant la disponibilité.
Résumé
La feuille de route dédiée à la disponibilité face à Ebola complète la liste de contrôle consolidée pour se préparer à faire face à la maladie à virus Ebola de l’OMS, en préconisant des actions spécifiques et concrètes aux ONG. L’IRC a mis en pratique ce document dans cinq pays exposés, à savoir le Burundi, la République centrafricaine, le Soudan du Sud, la Tanzanie et l’Ouganda. Depuis lors, tous les programmes nationaux de l’organisation ont amélioré leurs scores de disponibilité. L’avancement dans ce domaine au sein des programmes nationaux et la feuille de route en elle-même ont permis au siège de l’IRC de donner la priorité à l’aide technique (aide à distance et visites dans les pays) ainsi qu’à l’utilisation de fonds internes pour contribuer à cette disponibilité. La feuille de route s’est révélée être un outil extrêmement utile en interne pour appuyer les actions consacrées à la disponibilité face à Ebola et pour surmonter les obstacles à l’échelle nationale. Ce document continue de jouer un rôle crucial dans les mesures de disponibilité prises par l’IRC suite à la flambée du virus dans l’est de la RDC. Enfin, il a permis à l’organisation de définir clairement la direction à prendre sur ce plan à l’échelle nationale lors des flambées à venir.
Dr Stacey Mearns est directrice adjointe en charge d’Ebola à l’IRC. Kiryn Lanning est conseillère technique principale en charge des situations d’urgence, de la prévention des violences et des réponses à l’IRC. Dr Michelle Gayer est directrice de la santé en situation d’urgence à l’IRC.
Commentaires