Issue 77 - Article 8

L’engagement communautaire : la solution pour des recherches fructueuses sur le virus Ebola

août 11, 2020
Stephen Mugamba, Jauhara Nanyondo, Monica Millard, Naoko Kozuki et Hannah Kibuuka
8 janvier 2019 : Beni, région du Nord-Kivu, République démocratique du Congo. Des représentant·e·s de la communauté rendent visite à une famille dans la périphérie de Beni pour la sensibiliser à Ebola.
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L’engagement communautaire est un processus consistant à nouer des relations qui permettent aux parties prenantes de travailler de concert sur des problématiques liées à la santé et de promouvoir le bien-être. Dans l’idéal, il doit s’appuyer sur des concepts s’inscrivant dans le contexte local issus d’expériences et d’enseignements tirés lors de la mise en œuvre d’activités visant à impliquer les communautés. Ces activités incluent le partage d’informations avec les parties prenantes et la remontée d’informations, la prise de mesures réfléchies pour clôturer les boucles de rétroaction, ainsi que de petites actions réalisables visant à relever les défis communautaires et à encourager un dialogue qui a du sens, le tout ayant pour but d’atteindre un consensus entre les communautés et les acteurs qui interagissent avec elles.

L’engagement communautaire est ancré dans les exigences des chefs de communauté, des décideurs politiques et des bailleurs de fonds envers un engagement communautaire sérieux en vue de résoudre les problèmes sanitaires. En tant que tel, c’est un pilier essentiel de la recherche. Il permet aux communautés de mieux comprendre les problématiques à l’étude, et renforce la capacité des chercheur·euse·s à appréhender les priorités communautaires, l’importance de les traiter, et la nécessité d’adopter des approches dans les domaines des communications et de la recherche qui respectent les particularités culturelles Syed M. Ahmed et Ann-Gel S. Palermo. Août 2010. «Community Engagement in Research: Frameworks for Education and Peer Review». American Journal of Public Health [en ligne], 100(8). Disponible sur : 2105/AJPH.2009.178137 .

Les interventions peuvent avoir un impact positif sur un vaste éventail de réalisations sur le plan sanitaire mais pour l’heure, les faits probants ne suffisent pas à déterminer si un modèle précis d’engagement est plus efficace qu’un autre 2. Alison O’Mara-Eves et al. Février 2015. «The Effectiveness of Community Engagement in Public Health Interventions for Disadvantaged Groups: A Meta-analysis». BMC Public Health [en ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.1186/s12889-015-1352-y . Il est également difficile de séparer la contribution de cet engagement communautaire des autres stratégies généralement employées pour assurer le succès des interventions 3. Alison O’Mara-Eves et al. Février 2015. «The Effectiveness of Community Engagement in Public Health Interventions for Disadvantaged Groups: A Meta-analysis». BMC Public Health [en ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.1186/s12889-015-1352-y . C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles, traditionnellement, les organisations et les institutions qui organisent des activités ou mènent des recherches en Ouganda n’ont souvent pas tenu compte de cet engagement ou y ont alloué un budget très restreint. Des organismes de financement internationaux tels que le Wellcome Trust et la Bill and Melinda Gates Foundation n’ont que très récemment commencé à promouvoir et à proposer un financement spécifique pour l’engagement communautaire, en plus du financement de la recherche et de programmes.

Ces dix dernières années, l’engagement communautaire s’est professionnalisé en Ouganda, notamment dans la réalisation d’études biomédicales reposant essentiellement sur le concept des bonnes pratiques de participation (BPP) pour les recherches biomédicales, développées par le Global Advocacy for HIV Prevention (AVAC) et le programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) 4. Natasha Mack et al. Octobre 2013. «Implementing Good Participatory Practice Guidelines in the FEM-PrEP Preexposure Prophylaxis Trial for HIV Prevention among African Women: A Focus on Local Stakeholder Involvement». Open Access Journal of Clinical Trials [en ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.2147/OAJCT.S45717 . Avant leur publication en 2011, il existait peu de documents sur la manière d’orienter l’engagement communautaire aux fins des recherches dédiées à la prévention biomédicale sur le VIH. Destinées aux bailleurs de fonds et aux chercheur·euse·s, ces directives apportent des conseils et un cadre officialisé pour interagir avec les communautés à propos de la conception et de la mise en œuvre d’études biomédicales. À l’instar des bonnes pratiques cliniques (BPC), les BPP s’appuient sur les principes de bienfaisance, de respect, de responsabilité et de transparence. En juillet 2014, l’Uganda National Council of Science and Technology (UNCST, le conseil national ougandais pour les sciences et la technologie) a publié des principes de BPP et les a intégrés aux directives nationales pour la recherche impliquant des sujets humains. Depuis lors, ces directives ont été adoptées par les institutions de recherche ougandaises. Étant donné l’accent initialement mis sur la recherche préventive contre le VIH, elles ne peuvent pas être appliquées telles quelles aux essais cliniques ne portant pas sur ce virus, mais l’AVAC et d’autres partenaires les ont modifiées en vue d’essais sur des pathogènes émergents (etré-émergents) susceptibles de causer de graves flambées épidémiques et pour lesquelles il existe peu, voire pas de contre-mesures médicales 5. Catherine Hankins. Décembre 2016. Outcome Document of the Consultative Process. Organisation mondiale de la santé (OMS). Dakar. .

En Ouganda, les institutions de recherche doivent constituer un CCC pour faire le lien entre les chercheur·euse·s et la communauté où sont menées les recherches. On pourrait décrire les CCC comme étant « les porte-parole de la communauté et les yeux des chercheur·euse·s ». Leurs membres comptent généralement des chefs de communauté, des représentant·e·s des femmes et des jeunes, des chefs religieux, des spécialistes des médias, des représentant·e·s de la société civile, des personnes concernées et, occasionnellement, des artistes. Le CCC du MUWRP totalise 13 membres. Il se réunit une fois par trimestre, mais peut aussi le faire ponctuellement afin de résoudre des problèmes non anticipés ou de répondre à des besoins de recrutement. L’équipe du CCC participe à l’analyse de documents liés aux études en vue de garantir le caractère acceptable des recherches sur le plan socioculturel, et la compréhension mutuelle entre les chercheur·euse·s et la communauté. Elle aide également à traduire le langage scientifique complexe des protocoles de recherche en des concepts simples pour faciliter une prise de décision éclairée.Indépendamment de l’absence de principes directeurs uniformes, l’engagement de la communauté et son implication stratégique se sont souvent révélés importants et nécessaires pour aider les participant·e·s à la recherche à s’impliquer dans les études et à y rester jusqu’à la fin. Le Makerere University Walter Reed Project (MUWRP, le projet Walter Reed de l’université de Makerere), un organisme de recherche, a fait appel aux communautés et à d’autres parties prenantes clés pour l’éducation communautaire, le recrutement de participant·e·s pour différentes études cliniques (entre autres à Kampala, pour l’étude d’un vaccin anti-Ebola) et le maintien de leur participation à celles-ci. Dans le sud-ouest de l’Ouganda, il a également contribué à des actions gouvernementales ayant pour but de construire des structures de soutien pour la préparation et la réponse à Ebola, à l’hôpital régional de référence de Fort Portal.

Le MUWRP est en première ligne de la recherche sur un vaccin anti-Ebola depuis 2009, lorsqu’il a mené le premier essai en Afrique sur un vaccin contre les virus Ebola et Marburg 6. Hannah Kibuuka et al. Décembre 2014.«DNA Vaccines Assessed Separately and Concomitantly in Healthy Ugandan Adults: A Phase 1b, Randomised, Double-blind, Placebo-controlled Clinical Trial». The Lancet [en ligne]. Disponible sur : https://doi.org/10.1016/S0140-6736(14)62385-0 . La population autochtone n’étant pas au fait des recherches cliniques sur Ebola, l’organisme a employé une approche multi-canaux pour la maintenir informée. Il a eu recours à cette même approche pour les essais ultérieurs sur un vaccin anti-Ebola et les actions s’y rapportant, parmi lesquelles des réunions avec les parties prenantes, le dialogue à haut niveau avec les parlementaires, la participation à des événements locaux tels que les Journées nationales de la santé, le dialogue continu avec des organismes communautaires, des réunions d’assemblées publiques locales, des émissions-débats à la télévision et à la radio, des forums d’organisations non gouvernementales (ONG) et des échanges avec le comité consultatif communautaire (CCC) du MUWRP.

Avant que le MUWRP ne mène le premier essai clinique sur un vaccin anti-Ebola en 2009, un rassemblement des parties prenantes a eu lieu à l’échelle des communautés pour renforcer leur soutien vis-à-vis de la recherche. Les communautés étaient sceptiques quant à la participation à un essai alors que le pays n’était pas touché par Ebola et que la population cible de cet essai à Kampala n’avait jamais traversé de flambée du virus. Les communautés ne considéraient pas Ebola comme un problème majeur exigeant un vaccin, et souhaitaient que les chercheur·euse·s se focalisent sur la recherche d’un vaccin anti-VIH. Plusieurs parties prenantes ont été conviées à une série de réunions, parmi lesquelles les directions concernées du ministère de la santé, l’autorité pharmaceutique nationale, les organismes de réglementation éthique, les dirigeants politiques, les responsables de la santé publique de la région de Kampala, les responsables de la sécurité, les chefs religieux, les médias, les représentant·e·s communautaires et les membres du CCC du MUWRP. Ces réunions ont été l’occasion d’aborder des concepts clés, notamment l’importance des essais cliniques pour tester l’innocuité des vaccins et les réponses immunitaires même en dehors d’une flambée de virus. Les parties prenantes communautaires ont apporté des conseils sur les canaux d’information et les messages les plus adéquats dans le cadre de l’étude. Ces réunions ont donné lieu à une stratégie d’engagement visant à dissiper les doutes de la communauté cible. En outre, l’engagement a recueilli un soutien politique et mobilisé des responsables de l’élaboration des politiques ainsi que d’autres parties prenantes indispensables, pour contribuer à mener l’essai clinique. Les médias qui ont participé aux réunions ont ensuite accordé du temps d’antenne et un espace permettant de répondre aux préoccupations de la communauté, qui se demandait pourquoi l’essai sur un vaccin était nécessaire.

Ces réunions ont donné lieu à une stratégie d’engagement visant à dissiper les doutes de la communauté cible. En outre, l’engagement a recueilli un soutien politique et mobilisé des responsables de l’élaboration des politiques ainsi que d’autres parties prenantes indispensables, pour contribuer à mener l’essai clinique. Les médias qui ont participé aux réunions ont ensuite accordé du temps d’antenne et un espace permettant de répondre aux préoccupations de la communauté, qui se demandait pourquoi l’essai sur un vaccin était nécessaire.

Le MUWRP a appliqué les enseignements tirés des activités d’engagement communautaire organisées dans le cadre d’autres essais sur un vaccin anti-Ebola, et a recruté ses sujets au sein de groupes de population comprenant des enfants et des adolescents. Jauhara Nanyondo, coordonnatrice des relais communautaires au MUWRP, explique qu’en 12 ans, « [ils·elles n’avaient] jamais réalisé d’essai clinique en recrutant des enfants. Le consentement n’impliquait pas uniquement le sujet de recherche, mais aussi les parents ou tuteurs, ce qui allongeait le processus de recrutement et le rendait plus complexe ». La solution à cet enjeu consistait à trouver des sujets plus âgés (à partir de 18 ans), à les informer de l’intention de recruter des enfants âgés de 6 à 17 ans, et à leur demander l’autorisation de recruter leurs enfants.

L’engagement communautaire est crucial pour la recherche et les interventions en santé publique, mais il est plus important encore de garantir l’adhésion et la participation significative des communautés en cas de réelle urgence de santé publique. Les leçons retenues suite aux flambées d’Ebola dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo (RDC) et en Afrique de l’Ouest soulignent le rôle central de l’engagement communautaire pour s’assurer que la recherche, la préparation et la réponse à Ebola produisent de meilleurs résultats. Par exemple, la forte résistance communautaire et le manque de confiance envers la réponse à Ebola ont gravement entravé la mise en œuvre des programmes de prévention et contrôle de l’infection (PCI). À certaines occasions, cela a provoqué des attaques à l’encontre du personnel de la réponse et des infrastructures de santé. L’engagement communautaire dans de tels contextes place les communautés au cœur de la réponse en créant des relations transparentes, pleines de sens, collaboratives et mutuellement bénéfiques avec des individus, des groupes, des organisations et des organismes gouvernementaux, dans l’objectif de mettre au point des normes sanitaires acceptables.

L’importance d’intégrer l’engagement communautaire aux programmes et recherches portant sur Ebola, en particulier lors des réponses aux flambées, devient de plus en plus évidente. Les problématiques et les enseignements propres à la RDC et à l’Afrique de l’Ouest ont aidé à mettre en relief les lacunes que les programmes actuels et futurs portant sur Ebola devront combler. Il conviendra par exemple de résoudre les problèmes de communication inadéquate avec les communautés, de malentendus à propos de la maladie, de connaissances limitées chez les acteurs de la réponse concernant la culture et les coutumes locales, et de manque d’implication des communautés autochtones dans les stratégies de contrôle, y compris dans la prise en charge des cas suspects et des enterrements sécurisés.

Récemment, le MUWRP s’est associé à l’International Rescue Committee (IRC, le comité international de secours) pour mener une étude cherchant à évaluer un nouveau modèle d’engagement communautaire. L’objectif de ce dernier est de placer le pouvoir entre les mains des membres essentiels des communautés afin de développer et exécuter des plans d’action. Ceux-ci visent à accroître la sensibilisation à Ebola et l’adoption de comportements préventifs face au virus dans le cadre des activités de préparation à Ebola menées par l’IRC dans le district de Kasese en Ouganda. Ce modèle, que nous avons appelé Active Listening Sessions (sessions d’écoute active), part de deux principes essentiels, à savoir s’assurer que des boucles de rétroaction sont en place pour favoriser un dialogue bidirectionnel entre la communauté et les intervenants ; et s’assurer que la communauté s’approprie la prévention et la réponse à Ebola. Les participant·e·s ont été sélectionné·e·s en fonction de leur risque d’exposition à Ebola, leur influence sociale et leur volonté de s’engager, et ont été associé·e·s à un membre de la communauté clairement identifiable (représentant·e ou « champion·ne ») afin de faciliter le déroulement de l’étude. Dans le cadre de celle-ci, nous avons solliciter la participation de groupes de femmes, d’équipes sanitaires des villages et du personnel sanitaire communautaire. Au fil de quatre réunions organisées toutes les semaines ou deux semaines, les groupes ont mis sur pied des plans d’action pour diffuser les principaux messages dans leur communauté. À l’heure actuelle, nous faisons la synthèse des résultats pour déterminer comment l’intégration de la composante d’engagement communautaire de façon systématique peut améliorer la confiance envers les mesures préventives et le respect de celles-ci lors de la préparation et de la réponse à Ebola.

Le travail réalisé par le MUWRP sur le plan de cet engament a contribué à une meilleure compréhension de la culture, des perceptions, des réseaux d’interaction sociale, des structures politiques et de pouvoir, des normes et des valeurs des communautés. Il a par ailleurs aidé l’équipe des relais communautaires à définir les tendances démographiques ainsi qu’à consigner les précédentes expériences liées à Ebola et à d’autres fièvres hémorragiques. Enfin, il a permis aux chefs de communauté officiels ou informels de soutenir la recherche en matière de santé publique.

Notre expérience démontre que l’engagement communautaire est crucial pour établir et maintenir l’implication dans la recherche portant sur Ebola. Nous avons appris qu’il s’agit d’un processus complexe exigeant de la persévérance, de l’implication, des connaissances et des ressources dédiées. Il nous reste à déterminer dans quelle mesure notre modèle d’engagement pourrait s’avérer pertinent et pratique en matière de communication sur les risques et de mobilisation sociale en situation d’urgence. Toutefois, les enseignements tirés de la contribution à la recherche sur Ebola nous ont déjà permis de bien mieux appréhender les perceptions des communautés à l’égard de la maladie, et peuvent éclairer le développement d’un engagement communautaire novateur pour les cas d’urgence.

Stephen Mugamba est chargé de documentation au MUWRP. Jauhara Nanyondo est coordonnatrice du service des relais communautaires au MUWRP. Monica Millard est directrice du programme Ouganda à l’US Army Medical Research Directorate (USAMRD, la direction de la recherche médicale de l’armée des États-Unis) Afrique/Ouganda (Kampala, Ouganda), au sein du Walter Reed Army Institute of Research (WRAIR, l’institut de recherche Walter Reed de l’armée). Naoko Kozuki est chercheuse principale dans le domaine de la santé à l’IRC. Hannah Kibuuka est directrice générale du MUWRP.

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