Issue 48 - Article 1

Retenir les leçons d’Haïti

mars 29, 2011
Canadian army medic Richard Robichaud treats a lady at a makeshift hospital of the Belgian First Aid and Support Team (B-FAST) in a suburb of the Haitian capital of Port-au-Prince January 18, 2010

Un grand nombre d’organisations ont travaillé intensivement au cours des six derniers mois pour aider les autorités haïtiennes à atteindre aussi rapidement et efficacement que possible les personnes affectées par le tremblement de terre dévastateur du 12 janvier.   Cette édition de Humanitarian Exchange consacrée au tremblement de terre d’Haïti offre une chance de prendre du recul et de faire le point sur ce qui a été accompli, d’étudier ce que nous aurions pu mieux faire et d’indiquer quelques-unes des leçons que nous devons retenir.  Cet exercice n’est pas théorique – il a une valeur réelle et durable, pour autant que les leçons que nous avons identifiées sont effectivement appliquées sur le terrain.

Succès …

Des résultats immenses furent atteints par les autorités et la communauté internationale au cours des semaines et des mois qui suivirent la tragédie.  Beaucoup de vies furent sauvées, et sont sauvées  aujourd’hui, grâce aux efforts de secours.  L’un des efforts de recherche et de secours de tous temps les plus réussis arracha bien des personnes aux décombres alors même que tout espoir semblait perdu.  Environ quatre millions de personnes reçurent une aide alimentaire, 1,2 m régulièrement de l’eau propre et 1,5 m un abri temporaire.  Un million d’Haïtiens bénéficièrent de programmes argent contre travail.  Aucune épidémie majeure ne s’est manifestée.  Aucun second désastre n’a suivi le premier.  On a aidé la plupart des écoles à rouvrir, même sans bâtiment scolaire.  On a aidé l’agriculture.   On a assuré la protection à un certain nombre de personnes parmi les plus vulnérables dans le difficile contexte des camps.  Et tout cela a été fait dans la foulée d’un point de départ extrêmement difficile et complexe.

Par conséquent, dans l’ensemble, je crois que nous avons fait les choses plutôt bien que mal.  C’était le désastre le plus significatif exigeant une réponse internationale à grande échelle depuis le tremblement de terre du Pakistan en 2005.  Haïti était peu commun – presque sans précédent – à cause de l’effet dévastateur sur la capacité locale sous tous ses aspects et des difficultés inhérentes au contexte urbain d’une capitale.   C’était un test majeur de la capacité, des ressources et de l’état de préparation à la réponse de la communauté humanitaire globale.   Que nous ayons réussi ce test pour la plus grande part est aussi l’opinion du IASC (Inter-Agency Standing Committee/Comité permanent inter-agences, le forum de base pour le dialogue humanitaire et les prises de décisions parmi les partenaires humanitaires – des Nations Unies, des ONG et du Mouvement de la Croix rouge et du Croissant rouge.  Dans sa revue de la réponse d’Haïti sur six mois, publiée en juillet, le IASC remarquait qu’ «en dépit de l’environnement opérationnel difficile, l’opération humanitaire a, dans une large mesure, atteint  ses objectifs immédiats et a répondu efficacement aux besoins critiques identifiés.

… et échecs

Néanmoins, des erreurs ont été commises et des leçons doivent être apprises si nous voulons faire mieux à l’avenir.  La coordination et le leadership ont posé des défis dès le début, dans des circonstances chaotiques où une si grande partie de la capacité locale avait été détruite ou perturbée.  Le mécanisme des clusters est entré immédiatement en action et a aidé à améliorer la cohérence de l’effort dans les premiers jours du tremblement de terre.  Il n’a peut-être pas résolu tous les problèmes – et nous avons tous été frustrés par le temps qu’il a fallu pour faire démarrer certains éléments de l’effort de secours avec l’envergure et la rapidité nécessaires.  Mais, d’un commun accord, sans lui, nous aurions eu du mal à faire démarrer quoique que ce soit dans des domaines cruciaux comme la santé, les abris et l’eau.  Néanmoins, des ressources supplémentaires étaient requises, en particulier par les agences de coordination, mais aussi par OCHA (United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs/Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires Humanitaires) dans le domaine de la coordination inter-clusters, pour faire fonctionner encore mieux ces mécanismes.  De plus, l’influx de centaines d’organisations humanitaires dont beaucoup, quoique bien intentionnées, n’étaient pas nécessairement professionnelles et bien informées dans leur approche, posa un défi immense en terme de cohérence.  Il faut mettre au point un nouveau système de certification de capacité et d’expérience.

La présence et le matériel d’entités militaires puissantes, particulièrement la MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti) mais aussi des Etats-Unis et du Canada, présentait à la fois des chances et des défis.  Le personnel humanitaire avait besoin du soutien des militaires pour le transport et la distribution de l’assistance, et pour résoudre les problèmes de base comme le fonctionnement de l’aéroport ou la remise en état du port.  La mise en place de structures de coordination faisant participer à la fois les acteurs militaires et humanitaires joua un rôle critique dans le succès de l’opération.  Mais faire en sorte que tous ces acteurs, y compris les principaux bailleurs de fonds bilatéraux, tirent dans la même direction fut un formidable défi.  Il nous faut apprendre comment travailler ensemble plus efficacement et plus naturellement en de telles circonstances.  L’architecture actuelle est trop centrée sur les organisations humanitaires elles-mêmes.

Pendant ce temps, la communauté internationale ne s’est pas montrée suffisamment sensible aux préoccupations et aux capacités de la société civile locale, et n’a pas écouté assez attentivement ce que disaient les gens dont les vies avaient été détruites par le tremblement de terre.  Cette erreur a été faite auparavant, par exemple à la suite du tsunami de l’océan indien il y a cinq ans.   Elle conduit à des appréciations erronées sur ce qui est nécessaire, et à des erreurs stratégiques qu’il faut ensuite corriger.  Dans le cas qui nous occupe, elle fut aggravée par l’usage excessif de l’anglais dans les mécanismes de coordination et par l’accès difficile à la base de l’ONU réservé aux ONG locales, base dans laquelle la plupart des réunions avaient lieu.  Il s’agit là d’un domaine où nous devons vraiment  mieux faire.  Il est clair que la communauté internationale ne peut pas se permettre de ne pas travailler avec les structures nationales et locales dans la plus grande mesure possible, quelle que soit la difficulté et la complexité d’une opération.

L’opération à Haïti a aussi révélé des lacunes dans la gamme d’expérience et de connaissances au sein de la communauté humanitaire.  Nous devons, de façon plus détaillée, étudier des méthodes permettant d’identifier les personnes les plus vulnérables dans une opération de désastre et de distinguer entre celles qui sont affectées par le désastre et celles – la majorité de la population à Haïti – qui souffrent de formes de carence plus systémiques.  Le défi proche et perpétuel consistant à renforcer les liens entre les secours d’une part et le relèvement à long terme et le développement d’autre part exige encore davantage de travail.  Il nous faut aussi apprendre d’urgence comment mieux adapter notre réponse aux contextes urbains et identifier l’expertise nécessaire, les outils, les connaissances et les partenariats pour être en mesure d’opérer efficacement dans de tels environnements.

Défis à venir

Il n’y a pas de doute que le plus dur reste à faire.  Même si Haïti échappe au coup direct d’un ouragan, des besoins humanitaires massifs demeurent.  Au cours de ma dernière visite à Port-au-Prince, en juillet, je me suis rendu à l’Ancien aéroport militaire, un camp abritant 48.000 personnes, et à Fort National, un quartier vallonné de la capitale fortement endommagé par le tremblement de terre, où l’on déblaie les décombres pour permettre la construction d’abris transitoires et le début du retour pour les personnes déplacées en provenance d’emplacements comme le Champ de Mars.  J’ai vu des gens faire face avec une patience extraordinaire au milieu de ce qui est encore une terrible dévastation et des conditions de vie très dures, en dépit de la disponibilité des services de base.  Mais le défi qui se réduit à satisfaire les besoins humanitaires sur une base quotidienne demeure énorme et continuera dans une bonne partie de l’année prochaine.  On a besoin de davantage de ressources de la part des bailleurs de fonds pour continuer cette opération de secours.

Les gens ont aussi besoin de voir l’espoir et le début d’un changement en mieux.  Ils demandent combien de temps ils devront rester dans les camps.  Davantage d’emplois, davantage d’écoles et des logements sécurisés sont les priorités majeures.  S’abriter est la première préoccupation des gens.  Les quelque 1,5 m qui vivent encore sous tente ou sous des bâches sont dans une situation très précaire.  Dans certains de ces camps, la sécurité est un énorme problème, vu la présence des gangs et l’intimidation, et la violence sexuelle est en augmentation.  En attendant, il faut intensifier la planification d’urgence pour les ouragans.  On doit prévoir d’urgence des dispositifs et des incitations pour encourager les gens à retourner chez eux, et bâtir davantage d’abris transitoires.  Il faut accélérer au maximum le déblaiement des décombres – en juillet, on n’avait enlevé que 250.000 mètres cube sur plus de 20 millions.  Dans ces domaines, le personnel humanitaire travaille en liaison étroite avec le gouvernement, comme il se doit.  Mais il nous faut maintenir l’élan et même l’accroître.  On doit encourager un plus grand nombre d’enfants à retourner à l’école, les efforts faits pour la prévention des maladies doivent être maintenus et renforcés, la réhabilitation agricole doit être soutenue et on doit trouver des investissements pour créer des emplois durables.

Nous devons à la population dévastée d’Haïti – et à toutes les communautés affectées par les désastres – d’agir d’après les leçons que nous avons apprises avec rapidité et détermination, et de nous efforcer constamment d’améliorer notre réponse.  En attendant, la leçon la plus importante de toutes demeure la nécessité de réduire les risques de désastres avant qu’ils se produisent au moyen de mesures telles que des réglementations de construction obligatoires, l’assurance que les gens n’habitent pas dans des zones sujettes aux inondations et une préparation plus systématique aux désastres, au lieu de se contenter de répondre efficacement après coup.  Si mieux rebâtir Haïti a un sens, c’est qu’il faut s’assurer que les gens ne soient jamais aussi vulnérables aux désastres comme tant l’ont été le 12 janvier 2010.

Sir John Holmes est l’ancien Sous-secrétaire-Général pour les Affaires humanitaires et actuellement Directeur de la Fondation Ditchley.

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