Issue 48 - Article 2

La coordination et l’imbroglio de l’usage foncier à Haïti

mars 29, 2011
Kate Crawford, Emily Noden et Lizzie Babister, CARE International UK
A woman stands in her new house, a transitional shelter built in the rural areas near Grand Goave.

La sécurité de l’usage foncier a une influence directe sur la vulnérabilité de gens aux désastres et sur leur capacité à se rétablir.  Le type d’usage affecte directement la probabilité de déplacement et les chances d’un retour rapide.  La sécurité d’usage ne signifie pas nécessairement une propriété formellement enregistrée, légalement reconnue dont on peut hériter.  Elle peut également s’appliquer à des manières formelles et informelles, à court et à long terme d’assurer un abri à des particuliers, des ménages, des communautés et des entreprises, et prendre la forme d’une location, d’un droit de propriété ou d’un bail sur terrains.  Les études contemporaines indiquent qu’on s’éloigne des tentatives faites pour essayer de « résoudre » les questions foncières en documentant et en imposant des modèles de propriété à long terme héritable,  préférant des approches souples et progressive, protégeant les gens contre l’éviction et procurant une base pour créer les moyens d’existence.

Logement, terre et propriété à Haïti

Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère nord, avec plus de la moitié de la population vivant avec moins d’un dollar par jour.  C’est aussi l’un des pays les plus  densément peuplés des Amériques, particulièrement dans les zones urbaines, avec la capitale Port-au-Prince dont la population s’est accru de 115.000 personnes chaque année au cours des deux dernières décennies.  Avant le tremblement de terre, les densités de population dans les bidonvilles de la capitale atteignaient 25.000 personnes par kilomètre carré.  D’après UN-Habitat (Habitat-ONU), l’espace vital dans les habitations permanentes de Port-au Prince était de 1,98 m2 par personne alors que Sphere recommande 3,5 m2.

Le tremblement de terre du 12 janvier aurait détruit ou endommagé 200,000 foyers, déplaçant 1,2 millions de personnes dont la majorité déjà vivait dans des locaux médiocres, vulnérables et précaires.[1]  Faire face aux questions d’habitat, de terres et de propriété  (HTT) après le tremblement de terre fut un défi.  L’habitat haïtien évolue progressivement : les occupants commencent souvent avec une unité au rez-de-chaussée et peu à peu y ajoutent des étages supérieurs qu’ils louent pour se procurer un revenu.  La majorité des 2,7 millions d’habitants de la capitale vit dans des implantations informelles, où l’usage des biens est fondé sur des contrats informels ou sur des permis.  Beaucoup de Haïtiens n’ont pas de papiers d’identité personnels, il existe peu de systèmes d’information cadastraux et les titres fonciers sont dupliqués et périmés.  Différentes informations concernant les terrains sont archivées par différentes autorités gouvernementales et il est difficile, du point de vue des équipes d’urgence, de trouver les documents de référence sur l’habitat, la terre et la propriété, l’histoire de l’urbanisation et les mouvements sociaux et politiques urbains à Haïti.

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Logement, terre et droits de propriété influencent les ménages comme suit:

  • Vulnérabilité. D’après UN-Habitat, avant le tremblement de terre le risque d’éviction était perçu par les occupants comme peu important et même les plus pauvres investissaient peu à peu dans des structures lourdes mais de très mauvaise qualité hautement susceptibles aux effondrements.  De plus, le surpeuplement peut conduire à l’occupation de zones à haut risque par les plus vulnérables.
  • Déplacement, réparations et reconstruction. Les évaluations de CARE ont montré que les propriétaires occupants et les locataires de terre avaient davantage de chances d’accéder à leur lotissement d’origine et à leur matériel de construction.  Les locataires d’immeubles avaient tendance à être dans des abris moins résistants qu’ils avaient bâtis eux-mêmes parce qu’ils avaient moins de chances de sauvegarder  des matériaux de construction, et davantage de chances d’être déplacés du site de leur foyer d’origine.
  • Accès aux services.  L’usage foncier affecte aussi d’autres infrastructures.  World Vision note que: « Les efforts faits pour fournir des services de base comme les installations sanitaires et les égouts sont souvent retardés par des différends portant sur des terrains.  La planification d’abris transitoires à long terme ne peut avoir lieu en l’absence de terrains sur lesquels les personnes déplacées peuvent être installées ».[2]

Stratégie des abris et usage foncier: le cas des abris transitoires

A la suite du  tremblement de terre, l’effort d’assistance principal a porté sur la décongestion de plusieurs camps très en vue et sur l’approvisionnement en équipements pour abris transitoires.  Certains de ces équipements sont prévus pour de nouveaux sites d’implantation, tandis que d’autres sont destinés à des communautés affectées dotées de lotissements plus étendus hors de Port-au-Prince. Comme les bénéficiaires ont besoin de terrains pour construire un abri transitoire, les ONG donnent la préférence à ceux qui ont accès aux terrains et aux bâtiments plutôt qu’aux locataires et aux squatters.  Jusqu’à présent, les gens sans accès à un endroit pour monter un abri représenteraient environ 5% de ceux évalués près de leurs habitations d’origine dans certaines zones au sud-ouest de Carrefour et au centre de Léogâne.

Une stratégie de l’habitat à long terme exigera qu’on tienne compte du fait qu’ «une approche stricte visant au remplacement des biens et un empressement à confirmer les droits de propriété par le moyen de décisions rapides et des programmes systématiques d’octroi de droits ne sera pas appropriée pour subvenir aux besoins de la majorité de la population affectée qui sont des locataires ou des squatters plutôt que des propriétaires. »[3]  Ceci contredit les discussions parallèles menées par les gouvernements français, canadien et américain qui sont partisans d’un cadastre directif  de l’usage foncier légal, en partie persuadés que les terres ou les biens pourvus d’un titre légal peuvent faciliter l’accès au crédit où ils peuvent servir de nantissement.  Toutefois, cette approche risque d’être coûteuse, lente et inopportune, et peut renforcer les préjugés en faveur des propriétaires formels les mieux établis et les plus puissants qui sont en mesure de fournir les pièces requises.

Jusqu’à présent, on a abordé ce problème en développant des accords avec les bénéficiaires et des Protocoles d’Entente (Memoranda of Understanding/MoUs) avec les municipalités pour assurer la sécurité d’usage pour les abris transitoires.  Beaucoup d’ONG ont des documents qui cherchent à définir les rôles et les responsabilités de chaque partie et la période de validité décrits dans le Tableau 2.  Toutefois, les trois ans stipulés dans les MoUs représentent une période d’usage plus longue que celle qui existait avant le tremblement  terre : les périodes habituelles de location étaient de six ou douze mois.  D’un point de vue légal, les MoUs et les accords informels n’ont aucune validité officielle puisque les services des notaires ne sont pas souvent utilisés.  Les risques d’éviction courus par les bénéficiaires sont par conséquent incertains.  Bien que les maires aient signé les MoUs, ils n’ont aucune compétence en droit haïtien pour décider en matière de droits fonciers, et il se peut qu’ils aient de puissants intérêts personnels ou politiques susceptibles de fausser les décisions sur l’utilisation de la terre.  Aucun mécanisme pour recevoir les plaintes n’a été établi et on ne sait guère si on peut s’adresser aux municipalités pour qu’elles agissent en tant que médiatrices dans les différends fonciers.

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Nécessité de coordonner et rôle des clusters

Au niveau global, les questions de jouissance foncière sont de la compétence du Sous-groupe de travail sur l’Habitat, la Terre et la Propriété (HTP), élément du Cluster de protection.  Historiquement, ce cluster s’est concentré sur les réformes légales plutôt que de se préoccuper des obstacles auxquels les gouvernements ont à faire face en matière d’exécution.  Le groupe de travail évolue toutefois vers une approche plus nuancée à l’égard de la sécurité d’usage des terres sous les auspices d’UN-Habitat.  A Haïti, les questions de jouissance foncière ont une influence sur les activités de plusieurs clusters, comme le montre le Tableau 3. Toutefois, comme aucune organisation n’est responsable pour assurer la coordination, on risque répétitions et lacunes

 

La proposition d’Oxfam de créer un poste de Coordinateur HTP a été soutenue par DFID (Département britannique pour le développement international), CARE et le Cluster pour les abris d’urgence.

CARE a animé un Groupe de travail informel sur les questions liées à la terre avec un accent spécifique sur les lotissements individuels et les petits espaces privés/publics.[4]  La tâche du groupe était de documenter les problèmes et les questions auxquels les organisations individuelles ne pouvaient répondre par elles-mêmes, dresser le bilan de ce que les organisation faisaient en terme d’accords, identifier les organisations avec de spécialistes HLP, et susciter les réponses d’experts haïtiens sur les implications légales et les risques potentiels à long terme associés aux activités des ONG.

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Le diagramme suivant décrit un scénario de coordination idéalisé du point de vue de la communauté internationale, avec les éléments qui manquent à l’heure actuelle marqués en gris atténué.

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Conclusions

Aborder la question complexe de l’usage foncier à Haïti en assurant une sécurité d’usage informelle et progressive, permettra un relèvement plus rapide.  Il est essentiel que les ONG, les bailleurs de fonds et le gouvernement haïtien adoptent une approche plus sophistiquée qui couvre l’immense diversité de groupes vulnérables dans les situations urbaines.  Le modèle traditionnel consistant à construire des abris transitoires uniquement pour ceux qui ont accès à la terre doit être adapté pour répondre aux besoins des « sans-terre vulnérables ».  Au surcroît, bien que de grands projets cadastraux se chargent du long terme, on doit trouver une solution pour satisfaire les besoins de survie immédiats comme ils sont présentés dans le modèle opérationnel du Tableau 2.

La coordination autour de ce modèle opérationnel et le partage de l’information sont essentiels.  Les organisations de terrain ont encore besoin d’être guidées de façon concrète sur les meilleures pratiques assurant l’usage foncier aux plus vulnérables dans le contexte haïtien.  Il faut que le dialogue entre les différents groupes de travail et le gouvernement haïtien autour des questions liées à l’usage de la terre soit plus transparent et plus diversifié.  Que cela ait échoué jusqu’à présent tient en partie à l’incapacité du Système de Clusters à assurer dès le début un leadership sur les questions de HTP.  On peut espérer une amélioration avec l’arrivée, le 24 août, d’un Coordinateur HTP pour le Cluster des Abris d’urgence qui vient avec le mandat de passer en revue et consolider le travail actuel sur HTP.  La participation du gouvernement devrait comprendre des briefings sur les options de politiques.  Ils pourraient prendre la forme de notes courtes résumant les données et les analyses les plus disponibles sur le contexte, suivis d’une sélection de réponses possibles, indiquant clairement le pour et le contre de chacune, avec des recommandations appuyées par des preuves.   On pourrait aussi utiliser ces briefings pour améliorer le renvoi des informations aux partenaires locaux et aux bénéficiaires.  La dissémination et la traduction de rapports et leur présentation aux partenaires sur le terrain par le moyen de réunions de clusters et de groupes de travail est la responsabilité de tous les partenaires cluster et des autorités publiques.

Kate Crawford est la Responsable pour l’évaluation des abris et travaille avec Care Haïti.  Emily Noden est une Volontaire Abri avec Care International UK.  Lizzie Babister est Spécialiste en chef pour la reconstruction des abris avec Care International UK.

 

[1] Phillip J. Thompson et Paul Altidor, ‘A Framework for Housing Reconstruction for a Sustainable, Resilient and Inclusive Haiti: Preliminary Inputs to the International Donors’ Meeting on Haiti’, 12 mars 2010.

[2] World Vision, ‘Futures in Balance: A Way Forward for Haiti’s Children’, mars 2010, cité dans Lillianne Fan, Scoping Study on Housing, Land and Property Rights in Post-Earthquake Haiti: Securing Tenure, Facilitating Return, Preventing Evictions, and Strengthening Access to Justice for the Vulnerable, Oxfam GB, à paraître, 2010.

[3] Thompson et Altidor, ‘A Framework for Housing Reconstruction’.

[4] Voir https://sites.google.com/site/shelterhaiti2010/twig-1/land and settlement.

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