Issue 48 - Article 10

Rebâtir une meilleure Haïti

mars 29, 2011
Theo Schilderman et Michal Lyons
Factory working producing shelter in Port-au-Prince

La relation entre les désastres naturels, le relèvement et la réduction de la pauvreté est en passe de devenir une question scientifique, économique et politique cruciale.  Il est maintenant généralement reconnu que certains désastres « naturels » sont le produit de structures économiques et sociopolitiques et de processus de développement.  A leur tour, les désastres mettent en relief de façon frappante les inégalités socioéconomiques et créent une pression pour un changement.  Et pourtant la reconstruction reproduit habituellement les vulnérabilités.  Ainsi, le processus de développement contribue au nombre et à l’échelle des désastres ; les désastres retardent le développement, augmentant la vulnérabilité et sapant le relèvement et le développement futurs.  Cet article examine les mécanismes par lesquels la reconstruction post-désastre suivant le tremblement de terre à Haïti peut réussir à atteindre les objectifs de développement, en particulier la responsabilisation des individus et de communautés pauvres.

Les défis clés à Haïti

Le but ultime et primordial de la reconstruction n’est pas seulement de reconstruire les bâtiments endommagés mais de réduire la pauvreté et la vulnérabilité qui causèrent en premier lieu un développement de basse qualité et un entretien médiocre.  Malgré la participation internationale au processus de reconstruction, ni un changement social ni un changement politique n’apparaît offrir la solution pour une réduction de la pauvreté à Haïti.  Haïti a été depuis longtemps un exemple  d’abdication par les élites politiques et économiques de tout intérêt au destin des pauvres.  Entre-temps, l’élite du pays au pouvoir s’est vue sévèrement critiquée pour son refus d’ouvrir le processus politique aux partis d’opposition et de permettre un débat politique.  En plus de ces problèmes politiques et sociaux, la mort de plus d’un quart des fonctionnaires érige une autre barrière à la reconstruction.  Des ordinateurs et des dossiers ont été perdus tout comme les bâtiments où ils se trouvaient.  La gestion efficace d’un programme de reconstruction important exige pourtant une administration publique fonctionnant correctement.

Dans ce contexte, les plans de reconstruction qui encouragent l’autosuffisance à la base ont davantage de chances de réduire la pauvreté et la vulnérabilité sur le long terme.  Toutefois, avec 70% des survivants déplacés probablement locataires auparavant, et un système foncier à la fois complexe et contesté localement, il est peu probable que les plans de reconstruction standards « centrées sur la propriété », qui dépendent de l’octroi passé de titres fonciers, soient praticables à quelque degré.  Les approches qui incluent la location pour les bénéficiaires, au moins sur le court terme, ont beaucoup plus de chances d’être applicables.

En ceci, comme pour d’autres décisions stratégiques, les politiques de développement importent.  Des différences fondamentales quant à la conception de la reconstruction parmi les bailleurs de fonds et les clusters risquent d’ébranler une autorité gouvernementale déjà faible ainsi que son pouvoir d’action, et aussi d’ébranler la confiance locale en n’importe quelle politique donnée.  Il est important que les clusters du secteur humanitaire partagent connaissance et expérience, particulièrement entre ceux qui sont engagés dans les opérations de secours post-désastre et ceux qui participent à la reconstruction, harmonisent les stratégies et exploitent au maximum les apports de développement.

Les conceptions participatives à la reconstruction, la prise en compte de technologies locales et l’utilisation de matériaux locaux sont essentiels ; la reconstruction doit se proposer de restaurer les moyens de vie tout autant que bâtir le parc de logements.  Sinon, elle est vouée à l’échec.

Qu’est-ce qui peut faire une différence pour les pauvres d’Haïti?

Le tremblement de terre qui frappa Haïti a causé d’énormes dommages et plus de 200.000 morts.  Environ un mois plus tard, un autre tremblement de terre frappait Concepción au Chili ; il était presque 100 fois plus fort que celui qui avait frappé Haïti et causa aussi des dommages considérables, et pourtant le nombre de pertes humaines ne représentait qu’une infime fraction de celles d’Haïti.  Qu’est-ce qui a causé cette énorme différence dans l’impact ?  Le Chili avait des standards de construction appropriés, y compris des ouvrages résistants aux séismes, et ces standards étaient correctement appliqués.  Ce n’était certainement pas le cas à Haïti.  La vérité est que les Haïtiens avaient été rendus extrêmement vulnérables à des périls tels que les tremblements de terre et les ouragans par des années de gouvernance médiocre, une mauvaise gestion de l’environnement et une distribution des revenus de plus en plus inégale.  La majorité des Haïtiens étaient incapables de bâtir d’après des standards de résistance aux séismes, avec les résultats que nous avons observés en janvier.

Comme dans beaucoup de situations post-désastre, le gouvernement et les organisations extérieures semblent se concentrer particulièrement sur la construction de maisons, malgré le commentaire passé du Président René Préval soulignant que le premier objectif de la reconstruction devrait être le développement des moyens de vie.  Dans un article du journal britannique The Independent en juin,  Jay Merrick attirait l’attention sur la nécessité de rebâtir des maisons à des prix abordables et mieux sécurisées.[1] Ces arguments sont certainement valables, et la disponibilité d’une aide extérieure offre une chance de le faire.  Il est toutefois spécieux de croire qu’il suffit de construire des maisons plus sûres.  Bien que des foyers plus sûrs contribueront à réduire le risque pour un certain temps, ils ne pourront pas faire grand-chose pour s’attaquer aux vulnérabilités sous-jacentes, et par conséquent il se peut que les mêmes problèmes réapparaissent si un nouveau péril survient à l’avenir.  Ce dont on a vraiment besoin, ce n’est pas seulement de rendre les maisons plus résistantes, mais de rendre aussi les Haïtiens plus résistants.  Par conséquent, rebâtir une Haïti meilleure veut dire rebâtir les moyens de vie et les marchés locaux tout autant que les réseaux sociaux, en même temps que les logements.

Merrick suggère qu’un concours et une exposition de modèles, engageant des sociétés étrangères et des consultants, aux cotés de quelques personnes d’Haïti, contribuera à définir les types de logement qu’Haïti devrait reconstruire.  Il est certainement utile d’exposer les gens à des options supplémentaires et d’avoir une discussion franche à leur sujet, puisqu’il est clair que beaucoup de solutions de logement échouèrent dans le tremblement de terre.  Il est clairement nécessaire de repenser les concepts de construction à Haïti avant le début de constructions à grande échelle, étant donné que par le passé la préparation aux désastres s’est concentrée sur la résistance aux ouragans, plutôt qu’aux tremblements de terre.  Dans le passé, des expositions ont réussi, par exemple en Colombie à la suite du tremblement de terre qui a frappé ce pays en 1991.  Cette approche pose toutefois un certain nombre de questions :

  1. Comment les leçons du désastre vont-elles être apprises, par rapport aux erreurs de construction qui y ont particulièrement contribué, et quelles solutions locales ont peut-être mieux fait ?  Les organisations extérieures ont-elles ce genre d’information ?
  2. On a su depuis les années 1970 que le processus consistant à produire des logements, y compris la prise de décision sur le design, est plus important que le produit fini, parce qu’il renforce les capacités des gens et les responsabilise ; la responsabilisation est la clé pour former la résistance.  Le concours et l’exposition n’engagent pas du tout les gens d’Haïti jusqu’à ce que les prototypes soient bâtis.  Dans ces conditions, dans quelle mesure les gens sont-ils responsabilisés ?
  3. On risque, comme résultat de ce processus, de finir avec un certain nombre de maisons standards type.  Pourront-elles accommoder la grande variété de besoins des familles haïtiennes de taille et de métiers différents ?  Permettront-elles des activités génératrices de revenus dans la maison ?  Peuvent-elles être construites de façon assez souple pour s’ajuster aux besoins individuels ?
  4. La reconstruction et l’afflux de capital étranger offrent vraiment des chances de stimuler les moyens d’existence et les marchés locaux.  C’est un signe positif que les logements seront rudimentaires et utiliseront surtout des matériaux de construction et des maçons locaux.  Mais comment les logements de masse préfabriqués s’insèrent-ils dans cet ensemble ?
  5. En ce qui concerne les moyens d’existence, l’emplacement des logements futurs est également crucial.  Il semble que le gouvernement haïtien veuille réinstaller les anciens habitants des bidonvilles dans des endroits moins sujets aux tremblements de terre, loin de la capitale.  A-t-on pensé aux conséquences en matière de moyens d’existence ?  Sinon, les gens seront peut-être contraints de retourner vite à la ville, ou de décider de ne pas se réinstaller du tout, comme l’expérience tirée d’ailleurs le montre.
  6. Les réseaux sociaux sont un élément positif important qui fournit un soutien aux foyers en cas de besoin.  A la suite d’un désastre, ces réseaux sont souvent affaiblis parce que leurs membres sont morts ou éparpillés.  Que fait-on pour reconstituer ces réseaux ?

Finalement, bien que la reconstruction des logements puisse contribuer au développement des moyens d’existence, il n’y a aucun doute que le développement des moyens d’existence est aussi essentiel en soi.  Il s’en suit que ce dont on a besoin n’est pas seulement des architectes étrangers mais des équipes multi-secteurs, y compris des professionnels haïtiens, travaillant avec le peuple d’Haïti, pour développer des programmes de reconstruction beaucoup plus intégrés.

Theo Schilderman est Chef du  Programme d’infrastructure à Practical Action. Michal Lyons est Professeur de Développement et de politique urbains à London South Bank University.

Réferences et lectures complémentaires

P. Blaikie, At Risk: Natural Hazards, People’s Vulnerability and Disasters (Londres: Routledge, 2002).

S. Bradshaw, ‘Exploring the Gender Dimensions of Reconstruction Processes Post-Hurricane Mitch’, Journal of International Development, 14 (6), 2002.

DNS (Duryog Nivaran Secretariat) et PASA (Practical Action South Asia), Tackling the Tides and Tremors: South Asia Disaster Report 2005 (Londres: ITDG Publications, 2006).

E. Ennarson et B. H. Morrow (eds), The Gendered Terrain of Disaster: Through Women’s Eyes (Westport, CT: Praeger, 1998).

P. K. Freeman, ‘Allocation of Post-disaster Reconstruction Financing to Housing’, Building Research & Information, 32 (5), 2004.

Government de Sri Lanka et Nations Unies, National Post-Tsunami Lessons Learned and Best Practices Workshop Report, Colombo, 8–9 juin 2005.

J. Levi, Six Months Later: Roadblocks to Haiti’s Reconstruction, http://www.as-coa.org/articles/2508/Six_Months_Later:_Roadblocks_to_Haitis_Reconstruction, 2010.

M. Lyons et T. Schilderman, Building Back Better: Delivering People-Centred Reconstruction to Scale (Rugby: Practical Action Publishing, 2010).

E. Reis et M. Moore (eds), Elite Perceptions of Poverty and Inequality (Londres: Zed Books, 2005).

E. L. Quarantelli, The Disaster Recovery Process: What We Know and Do Not Know from Research, Disaster Research Center, University of Delaware, http://www.udel.edu/DRC/preliminary/pp286.pdf, 2005.

T. Schilderman, ‘Adapting Traditional Shelter for Disaster Mitigation and Reconstruction: Experiences with Community-based Approaches’, Building Research & Information, 32 (5), 2004.

J. Turner, Housing by People (Londres: Marion Boyars Publishers, 1976).

A. Wijkman et L. Timberlake, Natural Disasters: Acts of God or Acts of Man? (Londres: Earthscan, 1984).

 

 

[1] Jay Merrick, ‘British Architect To Rebuild Haiti’s Social Housing’, The Independent, 21 juin 2010.

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