La réponse de la Coordination civilo-militaire humanitaire des Nations Unies (UN-CMCoord) au tremblement de terre d’Haïti
- Issue 48 Editors Introduction: La réponse au tremblement de terre d’Haïti
- 1 Retenir les leçons d’Haïti
- 2 La coordination et l’imbroglio de l’usage foncier à Haïti
- 3 Tour d’horizon des besoins d’Haïti après le tremblement de terre: une approche quantitative
- 4 Les hôpitaux de campagne dans la réponse au tremblement de terre d’Haïti : un modèle de la Croix-Rouge
- 5 La réponse de la Coordination civilo-militaire humanitaire des Nations Unies (UN-CMCoord) au tremblement de terre d’Haïti
- 6 Le travail du cluster Education à Haïti
- 7 Le tremblement de terre d'Haïti: innover dans l'univers de l'information humanitaire
- 8 Eau, équipements sanitaires et santé publique à Haïti post-tremblement de terre: réflexions sur l’expérience d’Oxfam
- 9 Assistance alimentaire d’urgence à Haïti: leçons retenues d’une opération GTZ post tremblement de terre à Léogâne
- 10 Rebâtir une meilleure Haïti
Des forces militaires étrangères importantes furent déployées en réponse au tremblement de terre de janvier 2010 à Haïti, avec des contingents des Etats-Unis, du Canada et d’un certain nombre de pays d’Amérique latine et d’Europe, en plus des forces armées et de police existantes qui opéraient comme élément de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH). Ceci fait partie d’une tendance croissante : du tsunami de l’Océan indien au tremblement de terre de l’Asie du Sud-est, les forces militaires sont de plus en plus souvent chargées par leurs gouvernements de répondre aux désastres.
Les acteurs humanitaires ont la possibilité d’utiliser les capacités militaires dans le contrecoup immédiat d’un désastre, au moment où les capacités civiles ne sont généralement pas aisément disponibles. La remise en route des opérations à l’aéroport de Port-au-Prince – une artère vitale pour l’assistance – est un exemple frappant de ce que les militaires peuvent accomplir dans la première phase d’une réponse d’urgence. D’après les statistiques du gouvernement américain, le débit de l’aéroport passa de 13 vols commerciaux par jour à la veille du tremblement de terre à 200 par jour le 21 janvier.[1] Les forces des Etats-Unis dédièrent aussi des ressources considérables à la remise en état du port de mer. D’autres capacités militaires « réservées » comme l’évacuation par pont aérien, le soutien et la logistique médicaux d’urgence, furent déployés sur une grande échelle, et les troupes étrangères jouèrent un rôle clé en assurant un environnement sécurisé pour la distribution de l’aide et la protection des camps IDP.
En même temps toutefois, la présence de forces militaires importantes au milieu d’une réponse humanitaire tout aussi massive, exige que toutes les parties coordonnent leurs efforts pour faire en sorte que les ressources soient utilisées au mieux et que l’action soit cohérente et cohésive. La fonction de la Coordination humanitaire civilo-militaire des Nations Unies (UN-CMCoord) a un rôle clé à jouer pour faciliter cette interaction.
Le déploiement de l’UN-CMCoord
Dans le contrecoup immédiat du tremblement de terre, un officier de l’UN-CMCoord fut envoyé au quartier général de la Région militaire méridionale des Etats-Unis (SouthCom) à Miami, le QG opérationnel pour le déploiement militaire des EU. Une équipe de quatre personnes fut aussi envoyée sur le terrain. Elle comprenait deux officiers de la Liste d’intervention d’urgence (LIU) du Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA), un officier de l’Equipe du Service des Nations Unies pour l’évaluation et la coordination des désastres (UNDAC) et un quatrième par l’intermédiaire du Programme permanent de partenariat.[2] En plus de l’officier de liaison à SouthCom, un second officier de UN-CMCoord très expérimenté était basé à Washington et travaillait avec les militaires américains, l’Agence des EU pour le développement international (USAID) et le Bureau des EU pour l’assistance aux désastres à l’étranger (OFDA). Un mois après le tremblement de terre, une équipe de suivi à long terme fut établie, avec quatre officiers à Port-au-Prince et un à Léogâne.
Les premiers jours de la réponse à Haïti furent extrêmement difficiles, en grande partie à cause du déploiement rapide d’un nombre élevé d’effectifs militaires – en bref, les officiers étaient débordés. Comme la plus grande partie des dommages se produisit à Port-au-Prince, et qu’une large proportion de l’activité humanitaire et militaire y était concentrée, les officiers de l’UN-CMCoord étaient de même concentrés dans la capitale. Bien qu’il y eut un officier UN-CMCoord à Léogâne, ainsi qu’une évaluation civilo-militaire fut organisée à Petit Goave, les régions au nord de Port-au-Prince où la présence militaire était importante furent évaluées par l’équipe mais ne purent recevoir une constante attention.[3]
La liaison se fit également au niveau stratégique, à New York avec le Département des Opérations pour le Maintien de la Paix (DOMP), ainsi qu’à Washington et à Miami. Ceci s’est révélé être profitable à l’ensemble de l’effort humanitaire. L’échange d’informations et la facilitation de l’accès aux preneurs de décision sur le terrain furent deux domaines qui bénéficièrent directement de cette interaction et de cette liaison. Toutefois, au niveau du terrain, l’équipe UN-CMCoord de Port-au-Prince – qui devint une Cellule de coordination civilo-militaire (CMCC) au sein de la structure générale d’OCHA – eut du mal à suivre les unités militaires variées et les organisations humanitaires sur le terrain. La mobilité en particulier constituait un énorme défi et il n’était pas possible de rendre visite aux bureaux importants. Selon la pratique standard des déploiements de l’UN-CMCoord, l’équipe organisa une Réunion hebdomadaire du réseau de coordination civilo-militaire afin de créer un forum et un lieu spécial pour discuter les questions humanitaires civilo-militaires et résoudre les problèmes opérationnels et de coordination.
L’équipe travaillait aussi avec d’autres plateformes civilo-militaire, y compris le Joint Operations and Tasking Centre (JOTC/Centre des opérations interarmées et des engagements) établi par MINUSTAH, OCHA et autres partenaires clés. Par l’intermédiaire du JOTC, les organisations humanitaires d’Haïti pouvaient requérir l’assistance de l’armée ou de la police pour soutenir leurs activités de secours. En fait, le JOTC servait de bureau de filtrage à MINUSTAH pour les demandes d’assistance militaire. [4] OCHA et l’équipe UN-CMCoord donnèrent aussi des conseils pour faire en sorte que les acteurs militaires participent positivement aux réunions de clusters. Ces conseils avaient un double but : pour la communauté humanitaire, ils indiquaient pourquoi et comment les acteurs militaires devraient participer aux réunions de clusters, pour apaiser les soupçons de certaines organisations humanitaires quant au rôle des militaires ; pour le personnel militaire, ils indiquaient la façon dont il pouvait contribuer au fonctionnement des clusters sans dominer les réunions.
Très tôt, l’équipe UN-CMCoord reconnut aussi la nécessité d’établir une structure durable qui pourrait s’accorder au cadre plus large de coordination humanitaire. Une des raisons de base qui explique pourquoi la structure UN-CMCoord a bien fonctionné quand elle a atteint sa pleine capacité est que le personnel de liaison clé en provenance de nombreuses organismes militaires et humanitaires était diplomé à l’issue des cours de l’UN-CMCoord organisés par la Civil-Military Coordination Section (Section de coordination civilo-militaire/CMCS) d’OCHA basée à Genève.[5] Au cours de toutes les étapes de la réponse, environ de 20 à 30 diplômés étaient présents dans le pays à n’importe quel moment. Ces diplômés représentaient leurs organisations respectives dans la coordination de leurs activités avec d’autres acteurs au sein des clusters pertinents, ainsi que bilatéralement avec autres organisations. Leur présence soulignait les avantages potentiels d’un programme de formation UN-CMCoord au niveau opérationnel en période d’urgence. De nombreux diplômés fournirent aussi un personnel de soutien pour les fonctions des quartiers généraux de DPKO et OCHA à New-York, USAID et OFDA à Washington et SouthCom à Miami.
Leçons retenues
Bien que l’ensemble de la communauté humanitaire puisse encore avoir des réserves quant à l’implication militaire dans l’action humanitaire, la réalité est que les gouvernements sont de plus en plus amenés à demander aux forces armées nationales ou étrangères – toutes les deux dans certains cas – de répondre aux urgences. Dans le but de rendre la réponse humanitaire d’urgence plus efficace et plus prévisible, l’engagement des forces armées dans de telles situations doit être pris en compte et planifié convenablement par toutes les parties. Une des conclusions les plus évidentes qui peut être tirée de l’opération à Haïti – et qui renforce la pratique courante – est qu’il est nécessaire de se mettre en rapport avec les militaires avant qu’un désastre ne se produise, de façon à ce que les organisations humanitaires aient la possibilité de déterminer la forme de la planification militaire plutôt que de se contenter d’y réagir.
On peut faire les observations suivantes sur la base de l’interaction civilo-militaire au cours de la réponse au tremblement de terre d’Haïti :
1) L’initiation au dialogue et la facilitation de l’interaction entre les acteurs humanitaires et militaires seront considérablement renforcées par la connaissance et la compréhension générales de l’UN-CMCoord comme fonction.
2) L’interaction entre les humanitaires et les militaires devrait se faire de façon structurée, en deux étapes. La première étape, comme à Haïti, comprend l’établissement d’un CMCC au sein du bureau de l’OCHA ; la seconde étape implique un travail à long terme au niveau des clusters, la plateforme de coordination opérationnelle principale dans les opérations de réponse.
3) Il faut que les officiers UN-CMCoord approfondissent leur connaissance de l’approche cluster, et que l’ensemble de la communauté humanitaire décide, à l’avenir, de la meilleure manière qu’ont les militaires de se brancher sur le système. De même, on devrait reconnaître l’UN-CMCoord comme un service commun à la disposition à la fois des chefs de clusters et des dirigeants des agences de l’ONU et autres au sein de l’Equipe humanitaire de pays (EHP).
4) La capacité de l’UN-CMCoord devrait inclure la faculté de couvrir d’autres régions potentiellement affectées sans compromettre la capacité dans la capitale nationale qui, dans le cas d’Haïti, était le centre de gravité pour la coordination des opérations de réponse.
5) Le moment choisi pour déployer la capacité d’UN-CMCoord pour entreprendre des missions de liaison spécifiques dans les urgences est crucial; si le déploiement est rapide, l’officier UN-CMCoord responsable a l’occasion de dresser les priorités, de cibler et de faciliter les contacts aux niveaux appropriés (qu’ils soient stratégiques ou opérationnels).
6) UN-CMCoord devrait pouvoir se brancher sur l’effort plus large de réponse et de capacité de réaction en contribuant aux exercices de planification d’urgence, de programmation de scénarios et de période de transition et aux autres activités qui soutiennent les efforts de la communauté humanitaire internationale et les gouvernements des états affectés et qui, en fin de compte, profitent aux populations dans le besoin.
Conclusions
Dans les urgences d’aujourd’hui, l’interaction entre les répondeurs s’étend au-delà de la communauté internationale pour inclure toute une gamme d’autres acteurs, y compris les militaires. D’ailleurs, il faut qu’une direction précise, animée par des considérations humanitaires soit fournie aux militaires pour s’assurer qu’ils sont convenablement informés sur ce qui est requis, quand on en a besoin et comment on doit l’utiliser.
Par leur nature même, toutes les urgences sont différentes et il n’y aura jamais de réponse totalement coordonnée, totalement financée et parfaite engageant toutes les capacités requises. Ces réalités exigent qu’on applique avec fermeté la « meilleure solution possible » plutôt que de tergiverser et d’attendre la solution « parfaite ». La clé de ce problème réside dans la capacité d’adapter et d’améliorer la réponse quand elle se produit. Pour ce faire, il faut que la fonction UN-CMCoord cherche constamment des moyens de s’améliorer afin de demeurer réceptive aux besoins exigeants et dynamiques des situations d’urgence.
Alan Butterfield est Officier des Affaires humanitaires, CMCS. Ronaldo Reario est Officier des Affaires humanitaires et Robert Dolan est Officier adjoint des Affaire humanitaires, CMCS.
[1] Voir ‘Search and Rescue Missions Continuing in Haiti’, 21 janvier 2010, http://www.america.gov/st/americas-english/2010/January/2010012117095oesnamfuako.3139154.html.
[2] Le Stand-by Partnership Programme (Programme permanent de partenariat/SBPP) est sous la responsabilité de la Surge Capacity Section (Section de capacité d’intervention rapide/SCS) d’OCHA. Il consiste en un partenariat avec dix organisations externes qui tiennent des listes de professionnels humanitaires susceptibles d’être déployés rapidement vers des situations d’urgence humanitaire pour fournir le soutien extérieur d’OCHA.
[3] Une évaluation civilo-militaire est essentiellement une étude des acteurs civils et des forces militaires qui opèrent dans une région particulière. Un officier UN-CMCoord qui entreprend une telle évaluation notera tous les groupes présents, le travail qu’ils font et leur emplacement exact.
[4] Pour des informations supplémentaires sur le JOTC, voir: http://www.logcluster.org/ops/hti10a/jotc-info-sheet.
[5] Des informations supplémentaires sont disponibles à http://ochaonline.un.org/cmcs/training.
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