Issue 17 - Article 1

Échange Humanitaire No. 17 : Le retour des réfugiés & La qualité et la responsabilisation

mars 1, 2001
ODI
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Thèmes principaux abordés dans ce numéro

Dans ce numéro, nous avons regroupé plusieurs articles autour de deux thèmes essentiels : les réfugiés et l’asile, d’une part ; et, d’autre part, le débat sur le contrôle de qualité et l’obligation de rendre compte dans l’action humanitaire.

 

Les faits nouveaux concernant les réfugiés et le droit d’asile doivent se comprendre dans le contexte de changements théoriques et fondamentaux plus vastes liés à la gestion des conflits. Si la poursuite de la paix et de la sécurité est en soi un objectif louable, certaines de ses interprétations pratiques (dont les changements de politique vis-à-vis des réfugiés ne sont qu’une indication) causent un malaise grandissant dans la communauté humanitaire. Mais quels sont ces changements de politique ?

 

Primo, il y a la nouvelle interprétation de la notion de sécurité dans les relations internationales. Dans les pays occidentaux, il semblerait que, pour beaucoup, la sécurité englobe à présent les dimensions politiques, économiques et sociales, et pas seulement les dimensions militaires. Un infléchissement potentiel se ferait également sentir de la sécurité de l’État vers la sécurité de la personne humaine, phénomène qui peut aller de pair avec une interprétation de la souveraineté comme étant conférée à la population plutôt qu’à l’État. La réforme du secteur sécuritaire, le plus récent « secteur » de la gestion des conflits, s’intègre dans ce cadre et fait partie des questions traitées dans ce numéro. Certains pays sont mécontents de cette évolution parce que cela ouvre la porte à une intervention étrangère.

 

Secundo, il y a la notion de cohérence. Les acteurs humanitaires eux-mêmes ont souvent réclamé la cohérence – par quoi ils entendent davantage d’action politique. Toutefois ils ont omis d’examiner quel genre d’action politique serait nécessaire et quel devrait être le rapport entre les actions politiques (diplomatie, intervention militaire, sanctions, conditionnalités imposées à l’aide au développement) et l’aide humanitaire. Dans les cercles politiques, la tendance est maintenant de présumer qu’il existe une convergence sans heurt entre les valeurs et les objectifs de la politique extérieure et ceux de l’aide internationale ou d’argumenter qu’il devrait en être ainsi. Or ceci pose problème si la résultante en est que l’aide humanitaire devient un autre instrument de la gestion des conflits. L’une des conséquences possibles serait l’imposition de conditionnalités politiques à l’aide humanitaire, ce que, dans certains contextes, nous paraissons sur le point de faire. Tout en n’étant pas explicite, l’engagement international vis-à-vis des zones de conflit devient aussi de plus en plus sélectif. La communauté internationale (c’est-à-dire occidentale) s’engagera avec assurance, voire même de manière agressive, dans les régions qui présentent un intérêt géostratégique. Par contre ailleurs, elle se limitera à une politique de retenue et elle laissera à d’autres organismes régionaux et à d’autres pourvoyeurs (essentiellement non occidentaux) de soldats de la paix le soin de gérer les conflits. Cet engagement sélectif se reflète dans les flux d’aide : l’aide par habitant fournie au Kosovo est bien supérieure à celle fournie en Angola, par exemple. Hélas, cela se solde par une érosion du sentiment d’humanité ainsi que des principes, des valeurs et des droits universels !

 

Lorsqu’il y a intervention musclée, le « contrôle de la migration » constitue souvent l’objectif majeur, comme cela est le cas au Kosovo aujourd’hui. Contrôler la migration signifie l’endiguer, ou canaliser les déplacements à l’intérieur des frontières, ou encore inverser un afflux de réfugiés par le biais du rapatriement. Ceci est même esquissé comme étant un nouveau « droit », le « droit au retour » (à savoir, de ne pas être déplacé de force). Même si cela n’est pas choquant en principe, dans la pratique cela peut signifier une érosion du droit d’asile, un rapatriement vers des régions peu sûres, la mobilisation des organismes humanitaires pour faciliter le rapatriement au départ de pays occidentaux et, même, un rapatriement de force. Le HCR est l’un des organismes qui ont ressenti les pressions nées de cette tendance : son mandat en matière de protection demeure faible et, de plus en plus, il se voit demander de trouver des « solutions durables », d’aller au delà de l’aide au rapatriement jusqu’à la réintégration et la réconciliation. B. Chimni, spécialiste indien des questions liées aux réfugiés a contesté cette tendance succinctement mais sans mâcher ses mots :

<< L’idéologie de l’humanitarisme emploie le vocabulaire des droits de l’Homme pour légaliser le langage de la sécurité dans le discours sur les réfugiés, pour brouiller les catégories juridiques et le rôle des institutions, pour faire du rapatriement la seule solution et pour promouvoir un ordre du jour néolibéral dans les sociétés post-conflictuelles ce qui conduit à l’érosion systématique des principes de protection et des droits des réfugiés. >>

 

Le second thème sur lequel nous nous penchons dans ce numéro est le débat sur le contrôle de qualité et l’obligation de rendre compte parmi les organismes humanitaires, non seulement envers les bailleurs de fonds mais encore envers les groupes ciblés et les bénéficiaires. Nous faisons un compte-rendu sur Sphere, sur le changement (qui n’est pas purement superficiel) de l’ancien projet de « Médiateur » (Ombudsman) qui va devenir le Humanitarian Accountability Project, ou Projet de transparence humanitaire, et enfin sur les critiques exprimées par certaines agences françaises sur ces deux projets.

 

Mis à part les mérites relatifs (ou le manque de mérite) des diverses initiatives, les employés des organismes humanitaires, tant sur le terrain qu’aux sièges, attirent de plus en plus l’attention sur le problème de la prolifération des principes, des codes et des lignes directrices, sur la difficulté de les absorber et sur le temps nécessaire pour ce faire, de même que sur les problèmes que suscite leur mise en pratique. Il pourrait s’avérer utile de mettre en place un mécanisme de soutien, « un bureau-ressource du savoir » en quelque sorte, notion qui sert à décrire une fonction et non un « modèle » institutionnel, au commencement d’une intervention en cas de crise importante.

 

La question essentielle qui se pose dans cette polémique sur les droits et les responsabilités est de savoir à qui ils incombent : qui est responsable, qui a le devoir de protéger les droits des personnes en état de détresse et des populations menacées ? Cette tâche ne peut tout de même pas revenir uniquement aux organismes humanitaires de terrain. Si une bonne gouvernance est à souhaiter, il faut accepter d’aider les gouvernements à faire respecter les droits de leurs citoyens et des tiers qui se trouvent sur leur territoire et ils doivent de plus en être comptables. Il résulte des obligations juridiques de la Charte des Nations unies, des Conventions de Genève, du traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel et de la Convention sur les droits de l’enfant, notamment.

 

Où est l’Onu dans tout cela, qui a vocation à être l’expression d’une « communauté internationale » partageant un même attachement à des valeurs et des droits fondamentaux pour tous les êtres humains ? Alors que les choses se calment après la réunion du millénaire – que nous couvrons également dans ce numéro – l’Onu s’adapte-t-elle assez rapidement et comme il est séant, à un monde en évolution constante ? Et peut-elle aller de l’avant et maintenir cet élan si elle doit sans cesse « mendier, voler ou emprunter » pour survivre ? L’Assemblée du Millénaire ne sera pas la dernière réunion où ce sujet sera débattu.

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