- 1. Les communautés reconnaissent la contribution des humanitaires à la protection
- 2. Les communautés ne se sentent pas consultées sur les risques de protection
- 3. Les consultations ne suffisent pas à améliorer la protection
- 4. Une véritable participation communautaire pourrait être une solution
- Que doivent améliorer les organisations humanitaires?
- Comprendre ce qu'est la protection
- Passer le flambeau pour passer de la consultation à la cocréation
- Utiliser des approches d'évaluation basées sur la communauté
- Aligner l'aide sur les priorités de la communauté
- Conclusions
Ce que les personnes déplacées en RDC pensent de la protection humanitaire et comment en tirer des enseignements
Dans le monde d’aujourd’hui, la plupart des crises humanitaires semblent être fondamentalement des crises en matière de protection. Le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays a atteint un niveau record, tout comme le nombre de violations commises à l’encontre des enfants pendant les conflits armés. Plus de 70% des femmes vivant dans des endroits touchés par des crises ont subi des violences basées sur le genre, qui sont à la fois une cause et une conséquence des déplacements. L’année dernière, la plupart des pays suivis par le Global Protection Cluster a signalé que les civils étaient confrontés à des niveaux élevés de plus de la moitié des 15 risques suivis.
La politique de protection du Comité permanent interorganisations (IASC) explique que la protection consiste en fin de compte à réduire l’exposition des personnes aux risques qui peuvent leur porter préjudice. Au fond, la protection humanitaire consiste à donner davantage de sécurité aux personnes. Une étude indépendante commandée par le même organisme a conclu que les humanitaires avaient ‘laissé tomber les populations à risque’. L’étude a mis en avant des problèmes de leadership et une coordination trop compliquée, mais il y avait une grande lacune: pour déterminer si la protection était axée sur les personnes et au cœur de l’action humanitaire, l’étude n’a pas consulté les personnes affectées par les crises. La revue a été menée dans une période post-Covid caractérisée par des restrictions de voyage, ce qui a encore compliqué l’engagement avec les acteurs locaux et les communautés affectées.
Grâce à des recherches – notamment deux enquêtes quantitatives et des groupes de discussion communautaires – menées pendant deux ans (2022-2024), Ground Truth Solutions (GTS), Victim’s Hope et IES Congo se sont entretenus avec plus de 2 000 personnes ayant reçu une aide humanitaire dans trois provinces orientales de la République démocratique du Congo (RDC) – Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu. Ces trois provinces ont connu de fréquents affrontements entre groupes rebelles, milices locales et forces gouvernementales. Les atrocités telles que les massacres de civils, les viols systématiques, les déplacements massifs de population et le recrutement forcé d’enfants soldats ont fait de ces régions un point de convergence des efforts humanitaires. Cet article s’intéresse à la perception qu’ont les communautés des risques liés à la sécurité et à l’aide humanitaire qu’elles ont obtenue pour y faire face.
Les résultats mettent en évidence trois points essentiels:
- Les communautés reconnaissent le rôle de la protection dans l’aide humanitaire.
- De simples consultations avec les personnes affectées par une crise ne suffisent souvent pas à améliorer la perception de la protection.
- Une véritable participation aux programmes humanitaires semble pouvoir favoriser une vision plus positive des résultats en matière de protection.
En explorant ces thèmes, nous pouvons mieux comprendre comment les personnes touchées par une crise perçoivent la protection, pourquoi les approches humanitaires actuelles ne sont toujours pas à la hauteur et quels changements sont nécessaires pour renforcer leur impact sur la protection.
1. Les communautés reconnaissent la contribution des humanitaires à la protection
L’accès à l’aide offre une alternative aux facteurs de violence et de conflit. Lors des discussions de groupe, les participants ont déclaré que l’aide humanitaire contribuait à leur protection et soutenait le bien-être collectif en offrant des alternatives à l’usage de la violence. Dans une communauté, il a été expliqué qu’après la distribution de nourriture, la violence diminuait car les besoins essentiels pouvaient être satisfaits sans avoir recours au vol. Une autre personne a déclaré que moins de jeunes ressentiraient le besoin de rejoindre des groupes armés pour répondre à leurs besoins.
L’aide réduit les risques pour la sécurité dans notre communauté, car certaines personnes déplacées seraient tentées de rejoindre des groupes de bandits pour attaquer le site [le camp de déplacés] en raison du manque de moyens pour vivre.
Homme déplacé à Fizi, Sud-Kivu
L’aide nous empêche de devenir des voleurs.
Femme déplacée à Nyiragongo, Nord-Kivu
Cette aide nous sécurise et réduit le vagabondage de nos enfants et même les activités criminelles de certains jeunes déplacés.
Femme déplacée à Irumu, Ituri
L’aide a également un caractère préventif, en réduisant l’exposition aux risques pour la sécurité. C’est souvent le cas pour les denrées alimentaires. Si ce qui est nécessaire pour survivre est fourni par les humanitaires et que l’on peut y accéder en toute sécurité et dans la dignité, les gens peuvent éviter de recourir à d’autres moyens, généralement plus dangereux, pour répondre à leurs besoins.
Nous avons perdu des proches parce qu’ils étaient partis chercher de la nourriture dans une zone d’insécurité. Certains ne sont jamais revenus sur le site. Certaines femmes partaient chercher du bois de chauffage loin du site pour le revendre afin de trouver de quoi payer la nourriture, s’exposant ainsi à des risques de viol. Si elles reçoivent de l’aide sur place, elles ne s’exposeront pas en allant chercher du bois de chauffage. Mais cette aide n’est pas suffisante pour les déplacés, nous en avons besoin en permanence.
Homme déplacé à Irumu, Ituri
Nous marchons sur de longues distances dans les zones rouges pour trouver de la nourriture, mais quand il y a de l’aide, nous évitons cela.
Homme déplacé à Beni, Nord-Kivu
En Ituri, quelques participant.e.s aux groupes de discussion ont compris que les risques de protection vont au-delà des préoccupations de sécurité immédiate et ont été surprises que la majorité des personnes ne pensent pas que les acteur.rice.s humanitaires essaient de réduire ces risques pour la population Pour eux, l’aide protège en réduisant la vulnérabilité globale des communautés:
Avant l’arrivée de l’aide humanitaire, les enfants souffraient de kwashiorkor [une forme de malnutrition]. Ce n’est plus le cas grâce à l’aide humanitaire.
Homme déplacé à Irumu, Ituri
L’aide humanitaire contribue à la santé. Sur ce site, il peut y avoir plus de 4 000 personnes. Imaginez que vous viviez dans un site sans latrines, c’est un cauchemar. Sans cette aide, nous pourrions connaître des épidémies et le choléra. Heureusement, nous avons reçu de l’aide à ce sujet, qui nous a apporté de l’eau, des latrines et des douches.
Homme déplacé à Irumu, Ituri
Les habitants des trois sites de personnes déplacées à que nous avons visités étaient reconnaissants de l’élément préventif inhérent à l’aide humanitaire. Lorsque l’aide correspond aux besoins et aux priorités des personnes,elle peut offrir une protection immédiate en période de difficulté. Comme dans les conclusions tirées par l’étude indépendante de la politique de l’IASC il manque toutefois des témoignages d’interventions qui vont au-delà de la vulnérabilité et envisagent de manière globale les risques de protection (les menaces dont font face les communautés, ainsi que les capacités des communautés à y répondre). Les observations qualitatives ont confirmé nos résultats quantitatifs: 70% des personnes interrogées ne pensent pas que les humanitaires tentent de réduire les menaces auxquelles elles sont confrontées (Schéma 1) Dans l’outil d’enquête, le terme français utilisé pour désigner la menace était ‘menaces en matière de protection et ou sur la sécurité’. ‘L’enquête a été menée en swahili; les enquêteurs ont utilisé les mots ‘Hatari’ et ‘Vitisho’ pour parler des ‘menaces sur la sécurité.’ En outre, l’explication suivante a été fournie aux responsables de l’enquête lorsqu’ils lisaient la question à haute voix aux répondants, au cas où ces derniers demanderaient des informations supplémentaires pour répondre à la question: ‘Une menace de sécurité est par exemple la présence d’un groupe armée dans la zone, ou la présence d’une autorité locale qui est violente, ou la peur de la violence sexuelle, de la violence physique’. . Ce décalage peut provenir de différences dans la manière dont les menaces sont comprises et définies par les personnes concernées.
Schéma 1: Avez-vous le sentiment que les humanitaires tentent de réduire votre exposition aux menaces sur la sécurité?
Parmi les personnes qui estiment que les humanitaires tentent de réduire les menaces auxquelles elles sont exposées, 45% déclarent que ces tentatives ont été couronnées de succès (Schéma 2). Il s’agit d’un résultat positif La question n’a pas été posée aux participants qui estimaient que les humanitaires n’essayaient même pas de réduire leurs risques (uniquement 30% ont répondu qu’ils essayent), ce qui aurait très probablement augmenté les résultats négatifs: si, selon vous, les humanitaires ne font même pas d’efforts pour réduire vos risques, il y a de fortes chances que vous ne croyiez pas qu’ils aient réussi à les réduire , mais il n’en reste pas moins de 54% des personnes interrogées qui déclarent que les humanitaires ont essayé, mais qu’ils ont échoué. Comment cela se fait-il? Qu‘attendent les communautés des humanitaires; que devraient-ils faire mieux?
Schéma 2: Les humanitaires ont-ils pu réduire votre exposition ou celle de votre communauté aux menaces?
2. Les communautés ne se sentent pas consultées sur les risques de protection
L’écoute est la première étape, et elle n’est pas assez fréquente. Dans le Nord-Kivu, actuellement la province la plus violente de la RDC, seul un membre de la communauté sur trois a déclaré que sa communauté avait été consultée sur les menaces auxquelles elle est confrontée dans sa vie quotidienne (Schéma 3). Dans le Sud-Kivu, les consultations concernant la protection semblent plus fréquentes.
Ne pas écouter les communautés – par le biais d’une consultation active et de la mise en œuvre de mécanismes de retour d’information – est potentiellement extrêmement préjudiciable. Dans de tels cas, les réponses humanitaires ne correspondront probablement pas aux besoins de la communauté et pourraient au contraire nuire à sa résilience et à ses capacités.
Seule une organisation est venue nous interroger sur les problèmes en matière de sécurité sur le site.
Homme déplacé à Fizi, Sud-Kivu
Certains nous interrogent sur [nos préoccupations en matière de sécurité], d’autres non. Et nos interlocuteurs ne nous donnent pas de retour sur ce que nous leur avons dit. Je me demande donc s’ils ne viennent pas nous demander notre avis par pure formalité.
Homme déplacé à Fizi, Sud-Kivu, chef religieux
Schéma 3: Avez-vous été consultés, vous ou votre communauté, sur les menaces qui pèsent sur votre sécurité?
3. Les consultations ne suffisent pas à améliorer la protection
Là où cela se produit, l’écoute n’est pas encore suffisante. Il n’y a guère de différence dans la perception de la réussite des efforts de protection, que les personnes aient été consultées ou non (Schéma 4). À première vue, il peut sembler que la consultation des communautés sur la protection ne débouche pas sur des actions visant à obtenir des résultats concrets en matière de protection. Deux hypothèses plausibles peuvent contribuer à l’expliquer: premièrement, les consultations se concentrent souvent sur la sécurisation de programmes humanitaires prédéterminés, plutôt que sur la sécurité générale des communautés elles-mêmes; deuxièmement, les besoins et les demandes des communautés échappent souvent au mandat ou à la capacité des organisations d’aide.
Schéma 4 Les humanitaires ont-ils pu réduire votre exposition ou celle de votre communauté à ces menaces?
Dans les trois communautés que nous avons visitées, les personnes ont identifié différents problèmes de protection. Au Sud-Kivu, les personnes interrogées ont décrit un site de personnes déplacées comme étant relativement paisible. Elles on dit que les conflits interpersonnels étaient rapidement résolus par des comités d’anciens. Quelques résidents ont indiqué que les animaux dangereux, tels les hippopotames qui représentent le plus grand danger pénètrent parfois dans les camps la nuit. Les personnes n’ont pas donné la priorité à ce que l’on considère généralement comme des interventions de protection, demandant plutôt des outils pour cultiver la terre ou des opportunités d’emploi pour devenir financièrement indépendantes.
Dans la province d’Ituri, les personnes sont surtout préoccupées par le fait que les jeunes volent ou rejoignent des groupes violents pour essayer de joindre les deux bouts. Les personnes ont demandé à ce que les acteurs humanitaires n’oublient pas les jeunes et trouvent des solutions pour éviter qu’ils ne recourent à la violence.
Au Nord-Kivu, les personnes ont peur des groupes armés qui terrorisent la communauté et disent qu’une personne est tuée presque chaque semaine. Elles se sentent également parfois harcelées par les militaires, qui eux aussi ont du mal à joindre les deux bouts et qui se livraient parfois à des pillages. Elles ont demandé à ce que les organisations humanitaires travaillent plus efficacement avec l’armée pour renforcer la sécurité du camp, ou qu’ils augmentent l’arsenal d’armes d’autodéfense de la communauté.
En ce qui concerne le soutien des organisations non gouvernementales (ONG), le moyen le plus efficace d’assurer la sécurité serait de fournir […] l’équipement indispensable aux jeunes patrouilleurs Le nom du groupe mentionné par la personne interrogée a été intentionnellement omis. Bien que la personne interrogée considère ce groupe comme un protecteur, il a été dénoncé par le gouvernement national et déclaré illégal. , et dans l’idéal, une une prime d’encouragement pour les jeunes.
Responsable communautaire à Uvira, Sud-Kivu
Les organisations humanitaires ont la possibilité de fournir des fonds soit au gouvernement, soit directement aux soldats. Cela leur permet de se déployer sur le champ de bataille et de combattre le [groupe armé avoisinant], assurant ainsi notre sécurité.
Femme déplacée à Oicha, Nord-Kivu
Mais notre dialogue montre que, trop souvent, ces missions qui sortent du cadre des capacités humanitaires sont utilisées comme exemples pour écarter la plupart des priorités communautaires en les qualifiant de ‘trop difficiles’. Entre les demandes de protection impossibles à satisfaire et les agences qui s’en tiennent farouchement à leur mission, il y a un juste milieu à trouver. Les mandats des organisations, ne devraient pas être le principal facteur déterminant des contributions à l’aide. Si ces consultations étaient véritablement plus collaboratives, permettant aux communautés et aux acteurs humanitaires de discuter des menaces qui sont gérables dans le cadre des capacités humanitaires et de celles qui ne le sont pas, des solutions plus efficaces pourraient voir le jour. Par exemple, même si les organisations humanitaires ne peuvent pas s’attaquer directement à une menace telle que les animaux sauvages, elles peuvent tout de même apporter leur contribution, au minimum, en travaillant en coordination avec les groupes de protection de la nature ou les autorités pour trouver des solutions, en aidant à prendre des mesures pratiques telles que la construction de clôtures durables et d’abris de qualité, ou en assurant la sécurité du stockage de la nourriture. De même, si les organisations humanitaires n’ont qu’une influence limitée sur les actions militaires incontrôlées, favoriser une approche plus structurée et coopérative de l’engagement militaire, lorsque cela est possible, peut contribuer à réduire les tensions et à atténuer la méfiance ou le harcèlement à l’égard des communautés vulnérables.
4. Une véritable participation communautaire pourrait être une solution
Une personne sur 10 avec laquelle nous nous sommes entretenus en RDC a confirmé qu’elle avait récemment participé ‘aux décisions, à la mise en œuvre ou au suivi de l’aide et des services’ (Schéma 5). Une participation active, plutôt qu’une simple consultation, permet d’obtenir de meilleurs résultats en matière de protection. Examinons les 307 personnes de notre enquête qui ont affirmé que les organisations humanitaires tentent de réduire les risques de protection (schéma 6):
- Parmi ceux qui n’ont pas participé aux décisions, à la mise en œuvre ou au suivi, seuls 41% ont répondu que les programmes contribuaient à réduire les menaces.
- Ceux qui ont été activement impliqués ont généralement fait état de meilleurs résultats en matière de protection: 64% d’entre eux estimant que les programmes ont contribué à réduire les menaces.
Schéma 5: Avez-vous participé aux décisions, à la mise en œuvre ou au suivi de l’aide et des services, d’une manière ou d’une autre?
Schéma 6: Les organisations humanitaires ont-elles pu réduire votre risque ou celui de votre communauté aux menaces qui pèsent sur votre sécurité?
La petite taille de l’échantillon de ce groupe empêche de tirer des conclusions décisives La taille de l’échantillon est petite car la question sur la réussite de la réduction des risques était une question de suivi posée à ceux qui avaient auparavant déclaré que les organisations humanitaires essayaient de réduire leurs risques. Cette caractéristique de l’enquête a réduit l’échantillon total disponible pour cette question à 307 personnes. , mais laisse entrevoir son potentiel: pour mieux protéger, il faut que les communautés prennent directement l’initiative de façonner les décisions et les actions relatives aux stratégies de protection humanitaire. Cette approche nécessite également une plus grande affectation des ressources du projet aux activités d’engagement communautaire, car la promotion d’une participation active exige beaucoup plus d’efforts que le partage d’informations ou la mise en place de mécanismes de feedback passifs.
Que doivent améliorer les organisations humanitaires?
Comprendre ce qu’est la protection
La protection humanitaire consiste à faire en sorte que les gens se sentent plus en sécurité en soutenant leurs efforts pour réduire les risques de violence et d’abus. Lorsque nous avons demandé à un homme déplacé à Oicha, au Nord-Kivu, s’il avait été consulté sur les risques auxquels il est exposé, il nous a expliqué: ‘Les organisations humanitaires disent que le problème de sécurité ne fait pas partie de leur mission, elles distribuent de l’aide, c’est tout’. Le cadre juridique de la protection issu des ateliers du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans les années 90 et la ‘professionnalisation’ ultérieure de l’activité, avec des experts spécialisés et une terminologie exclusive, semblent avoir créé une forteresse autour du concept. Cela peut empêcher les organisations humanitaires de centrer correctement la protection dans leurs opérations et de comprendre que les efforts d’aide peuvent faire en sorte que les gens se sentent plus en sécurité lorsqu’ils sont bien menés, et créer de nouveaux risques de protection lorsqu’ils sont mal menés.
Passer le flambeau pour passer de la consultation à la cocréation
Les consultations ne suffisent pas. Les communautés doivent non seulement être activement consultées pour mieux comprendre leurs préoccupations en matière de sécurité, mais elles doivent également contribuer à déterminer le type d’intervention nécessaire pour réduire les risques. Les organisations humanitaires doivent faire preuve d’humilité lorsqu’elles définissent la protection au niveau communautaire, en investissant dans un meilleur dialogue avec les communautés avant le début du projet et tout au long du cycle de vie de toute intervention, tout en respectant et en tirant parti des connaissances et de l’expérience des communautés. Dans de nombreux cas, il existe déjà des mécanismes de protection communautaires que les organisations humanitaires peuvent utiliser et renforcer pour contribuer à atténuer les menaces. Pour faire tout cela correctement, il faut que le secteur humanitaire change de cap et privilégie la qualité à la quantité. L’engagement significatif et la proximité avec les communautés peuvent prendre du temps et nécessiter des ressources importantes. Les acteurs locaux sont bien placés pour conduire ce changement. Ils sont plus proches du terrain, ont une meilleure compréhension du contexte et sont souvent plus flexibles.
Utiliser des approches d’évaluation basées sur la communauté
Ce changement nécessite également davantage une approche d’évaluation basée sur la communauté afin de comprendre si le programme de protection a effectivement réduit les risques, au lieu de se contenter de remplir et de cocher les cases de matrices quantitatives. ‘L’aide humanitaire diminue les risques lorsque nous sommes en mesure de les dénoncer et qu’il y a un suivi jusqu’à ce que le risque soit éliminé’, a déclaré un responsable communautaire lors de notre discussion de groupe au Sud-Kivu. Les communautés sont les protagonistes qui déterminent si les résultats appropriés ont été atteints et si la conception est adaptée à l’objectif lorsque le programme est révisé. Les mécanismes habituels de suivi de la protection sont mis en place pour compter les incidents dans une zone de conflit ou un pays, mais pas pour suivre les progrès des efforts de réduction des risques. Pour ce faire, il est nécessaire de connaître l’avis des personnes concernées. Leur absence est un obstacle majeur à la réalisation de l’engagement de protection, une conclusion déjà tirée par l’étude indépendante de l’IASC.
Aligner l’aide sur les priorités de la communauté
Les décideurs dans les sièges sociaux et les bureaux des donateurs comprennent peut-être bien le décodage de ‘l’intégration de la protection’ et ‘ne pas nuire’, dans la description des différences entre une ‘activité de protection’ et un ‘résultat de protection’ et plaidoyer en faveur d’une ‘approche basée sur les droits’ ou d’une ‘approche basée sur les résultats’. Pourtant, pour les personnes touchées par des conflits violents, comme les communautés que nous avons visitées en Ituri ou au Nord-Kivu, ces distinctions ne sont pas pertinentes. En exprimant leurs priorités et leurs préférences, les personnes examinent les risques de sécurité dans leur vie quotidienne et les obstacles qui les empêchent d’accéder à un avenir moins risqué, plus paisible et meilleur, avec des possibilités de revenus et de la stabilité. Leurs réponses sur ce dont elles ont besoin pour être résilientes et pour vivre sans dépendre de l’aide sont adaptées à ce qui est nécessaire pour briser ces barrières, indépendamment du fait que l’aide soit qualifiée de ‘paix’, ‘humanitaire’, ‘développement’ ou ‘droits’. Les interventions d’aide devraient être guidées par les priorités de la communauté plutôt que dictées par les priorités du donateur ou de l’organisation. Il pourrait s’agir de repenser sérieusement la mise en œuvre des principes et des valeurs humanitaires. Au Nord-Kivu, plusieurs personnes d’une même communauté ont exhorté les organisations humanitaires à inclure les militaires dans leurs plans de distribution, convaincus que s’ils recevaient de l’aide, ils ne harcèleraient pas les gens la nuit pour leur voler le peu qu’ils ont.
Conclusions
Les communautés déplacées en RDC reconnaissent le rôle que les organisations humanitaires peuvent jouer pour renforcer leur sécurité, offrir des alternatives à la violence et réduire les vulnérabilités et l’exposition aux menaces. De plus en plus, le secteur de l’aide reconnaît que les civils eux-mêmes sont des acteurs clés de la protection de leurs communautés, et qu’il ne suffit pas d’impliquer les acteurs étatiques et non étatiques. Pour que les programmes de protection soient efficaces et durables, ils doivent impliquer une véritable leadership et participation de la communauté, allant au-delà de simples consultations, afin de garantir que les interventions conçues ensemble soient fermement ancrées dans les résultats souhaités par les communautés. Ce n’est qu’à cette condition que la protection humanitaire aura un véritable impact.
Tim Buder est coordinateur de programme à Ground Truth Solutions.
Junior Habimana est directeur de Victim’s Hope en RDC.
Dora Muhuku est experte en genre et en santé publique à l’IES Congo.
Les auteurs remercient sincèrement Meg Sattler et Gemma Davies pour le temps qu’elles ont consacré à la révision de cet article et pour leurs commentaires.
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