Issue 77 - Article 3

Priorité à la communauté : la clé pour endiguer l’épidémie d’Ebola

août 11, 2020
Marcela Ascuntar
Octobre 2018, Nord-Kivu, République démocratique du Congo. Martine Kavucho, 30 ans, montre à sa fille Christine Botulu, 6 ans, les techniques de lavage des mains qu’elle a apprises au centre de santé dans le cadre de la réponse de Mercy Corps à Ebola
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La dixième flambée de virus Ebola dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) s’est déclarée en août 2018. Dix-neuf mois plus tard, elle avait provoqué plus de 3 400 cas confirmés et présumés, et plus de 2 200 décès. En octobre 2019, le Dr Jean-Jacques Muyembe, à la tête de la réponse à l’épidémie, et le gouvernement congolais à Kinshasa prédisaient que la flambée se terminerait avant la fin de l’année. Ils avaient de bonnes raisons d’être optimistes : dans les premières semaines de novembre, le nombre de cas avait chuté à une moyenne de huit par semaine, une nette diminution en comparaison des quelque 112 cas par semaine lors du pic de l’épidémie en mai 2019. La transmission avait été limitée à un ensemble restreint de quatre zones de santé voisines. Un vent d’espoir soufflait parmi les acteurs de la réponse.

Cependant, de graves incidents de sécurité ciblant les équipes d’intervention en novembre 2019 ont eu des répercussions sur les progrès réalisés les mois précédents. Les problèmes de sécurité ont entravé la surveillance épidémiologique en raison de la réintroduction du virus dans des centres urbains où il avait été précédemment éradiqué. En outre, une personne survivante qui travaillait dans le cadre de la réponse a fait une rechute en décembre 2019, infectant directement plus de 30 individus. Bien que les rechutes soient rares, les experts épidémiologiques ont exprimé leurs inquiétudes quant à ce cas et à d’autres, similaires, sur le plan de la gravité accrue du virus dans l’organisme du·de la survivant·e. Les mesures sont en train d’être renforcées pour remettre la réponse sur la bonne voie, mettre un terme à l’épidémie et endiguer la transmission.

Résistance

La flambée d’Ebola en RDC est la deuxième plus importante que le monde ait connu et la principale dans une zone de conflit active. L’un des principaux enjeux depuis le lancement de la réponse est la résistance de la population locale à l’égard des professionnel·le·s de santé, des partenaires de la réponse, organisations non gouvernementales (ONG) incluses, et de la réponse en elle-même. Dans les premiers mois de l’épidémie, elle était principalement axée sur le traitement médical et les soins primaires. Il était crucial de s’assurer que les structures de santé locales offraient un traitement efficace aux patient·e·s en vue de prévenir la propagation du virus. Néanmoins, une structure et une communication descendantes, associées à des activités d’intervention inadaptées au contexte local et aux traditions, ont créé chez les communautés le sentiment d’être mises à l’écart dans le processus décisionnel. Cela a entraîné leur méfiance et a renforcé leur résistance, dans une région où des décennies de conflit avaient déjà suscité la suspicion envers le gouvernement, ses forces armées et les acteurs internationaux. Ces conditions étaient un terrain propice à la circulation de rumeurs et de fausses informations dans la première phase de la réponse.

L’analyse des commentaires de la communauté a mis en lumière des problèmes essentiels dans la réponse, notamment le manque d’harmonisation ou de cohérence dans les messages (qui étaient en outre parfois trop vagues ou techniques), une traduction erronée ou inexistante dans les langues locales, et une approche militariste impliquant le recours à des escortes armées pour accéder aux zones touchées par le virus. Par exemple, les enterrements dignes et sécurisés (EDS) mis en place pour éviter une contamination plus importante ont créé des tensions entre les acteurs de la réponse et les communautés autochtones au cours des premiers mois. Cette procédure est efficace et bien connue des praticien·ne·s de santé. Toutefois, dans les débuts, les équipes d’EDS ne tenaient pas compte des coutumes locales ni des pratiques culturelles (par exemple, seuls les hommes sont autorisés à porter la dépouille d’un·e défunt·e). Après avoir recueilli et analysé les retours, le personnel chargé des EDS a recruté et constitué des équipes composées uniquement d’hommes afin de rassurer les communautés. D’autres procédures ont été adaptées elles aussi ; par exemple, des housses mortuaires avec une partie en plastique transparent et non pas entièrement noires ont été utilisées afin que la famille puisse voir son proche au cours de l’enterrement.

Les premiers mois de la réponse ont aussi coïncidé avec une période de conflit sur le plan politique au Congo. Des élections présidentielles retardées, la suspension du scrutin dans les régions touchées par Ebola et des violences permanentes ont contribué à la politisation de la réponse et ont accru le scepticisme de la population. Ebola était en effet perçu comme un « outil politique » ayant pour but d’interrompre les élections et d’empêcher les citoyen·ne·s de voter. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a rapporté près de 390 attaques visant des établissements de santé en RDC, qui ont provoqué la mort de 11 professionnel·le·s de santé et occasionné des blessures chez 83 travailleur·euse·s et patient·e·s 1. T. Ghebreyesus. 10 décembre 2019. «Ebola Responders Face Deadly Attacks». The Guardian [en ligne]. Disponible sur : https://www.theguardian.com/global-development/2019/dec/10/ebola-responders-face-deadly-attacks-we-must-step-up-security-in-drc . Un tiers de ces incidents étaient des actes de résistance à la réponse.

Une intensification à l’échelle du système

En s’appuyant sur les commentaires de la communauté et sur la durée de la flambée, il est devenu évident qu’une réponse purement sanitaire ne constituait pas une approche durable. Il fallait au contraire être plus à l’écoute des besoins de la communauté et s’adapter au contexte local. Fin mai 2019, une intensification de la réponse à Ebola à l’échelle de tout le système a été déclarée. Elle adoptait un point de vue davantage axé sur la communauté. Le travail de plaidoyer et de coordination mené par un groupe d’organisations non gouvernementales internationales (ONGI), dont Mercy Corps, a joué un rôle important dans ce remaniement. Plusieurs réunions d’ONGI ont été tenues dans le but de s’accorder sur l’harmonisation de l’engagement communautaire dans l’ensemble des interventions, et sur l’intégration d’études anthropologiques comme celles menées par le Social Sciences Research Group (SSRG, le groupe de recherche en sciences sociales) du fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Une approche axée sur la communauté

Dans le cadre de l’intensification, les priorités apparues comme majeures étaient la résolution des problèmes humanitaires et sociaux les plus urgents touchant les communautés affectées, et l’amélioration de l’accès aux services essentiels. Aujourd’hui, il reste pourtant plusieurs défis à relever ; si les organisations demandent toujours plus leur avis aux communautés, peu adaptent leurs activités d’intervention de façon visible et il faut davantage défendre des stratégies différentes qui pourraient transformer ces activités en tenant compte des sensibilités locales. Pour surmonter cet obstacle, Mercy Corps et d’autres acteurs de la réponse mettent en place depuis un certain temps des approches d’engagement communautaire, en coordination avec la commission dédiée à la communication des risques et à l’engagement communautaire (CREC) dirigée par le ministère de la santé congolais et l’UNICEF. Le travail de communication des risques et d’engagement communautaire doit se poursuivre même après la fin de l’épidémie, car il soutient les communautés dans le développement de leurs propres stratégies de lutte contre la flambée actuelle et la prévention de celles à venir. Ce travail permet également d’aider la population à se remettre des conséquences sociales et économiques de cette flambée.

Mercy Corps a en outre élargi son intervention dans les régions concernées par la réponse à Ebola afin de répondre aux besoins des communautés en matière de services élémentaires, notamment l’accès à l’eau potable. À l’aide d’un financement de l’Office of U.S. Foreign Disaster Assistance (OFDA, le bureau de l’aide étrangère aux sinistrés) et du fonds humanitaire RDC de l’ONU, Mercy Corps répare les infrastructures hydrauliques existantes et fore de nouveaux puits, veillant ainsi à ce que les communautés locales aient accès à l’eau potable, un service doublement bénéfique qui, d’une part, s’inscrit dans les actions de prévention contre Ebola et d’autre part, satisfait un besoin local critique. Les communautés y participent activement en déterminant et en exprimant leurs besoins au moyen de consultations, de groupes de discussion et de la création de plans d’action communautaire. Les travailleur·euse·s autochtones sont embauché·e·s sur les sites de construction sur la base d’une rémunération en espèces en échange de leur travail, et les communautés élisent des comités en charge des travaux de construction et de réparation.

Informer, une mission primordiale

L’engagement actif des communautés et leur mobilisation permet également de diffuser des informations au sujet d’Ebola non pas uniquement via le personnel médical, les organisations internationales ou le gouvernement, mais aussi par l’intermédiaire des chefs de communauté et des individus reconnus en qui ces dernières ont confiance. En prenant en considération les dynamiques communautaires, nous posons les bases d’une réponse plus décentralisée et de flux de communication plus efficaces. Mercy Corps s’est appuyée sur des faits probants issus de la réponse à l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016 pour démontrer à quel point la mobilisation des communautés joue un rôle critique pour freiner une épidémie 2 Mercy Corps. 29 mai 2019. «Community Mobilization: Essential for Stopping the Spread of Ebola». Disponible sur : https://www.mercycorps.org/research-resources/community-mobilization-essential-stopping-spread-ebola .

Dans la réponse de cette organisation face à Ebola, le programme Pamoja (qui signifie « ensemble » en Swahili), financé par la direction générale pour la protection civile et les opérations d’aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO), a créé 40 centres d’information dans les zones touchées par le virus. Ils sont gérés par des organisations locales formées et soutenues par Mercy Corps, et proposent des informations fondamentales sur la maladie, sur les bonnes pratiques et les mesures de prévention en matière d’hygiène et d’assainissement, ainsi que sur la façon de réagir en cas d’apparition de symptômes. En détectant et en traitant un cas au plus tôt, on raccourcit la chaîne de contamination. La population autochtone reçoit les informations directement de la part des organisations locales approuvées par les communautés, créant un effet domino permettant de répandre les bonnes pratiques dans les communautés et de lutter contre la désinformation.

Ces centres ne se contentent pas d’apporter des informations aux communautés ; elles recueillent aussi leurs commentaires sur les actions et les équipes de réponse. En analysant ces retours, Mercy Corps et les équipes de réponse à l’épidémie d’Ebola prévoient d’adapter et d’ajuster leurs efforts en vue de contrer les rumeurs et la désinformation, d’améliorer les programmes et de communiquer des données utiles à la communauté humanitaire dans son ensemble. Parmi les rumeurs les plus fréquentes qui se sont répandues dans les centres et que ces derniers ont démenties figuraient la conviction selon laquelle Ebola avait été inventé par le gouvernement pour annuler les élections présidentielles, ou créé de toutes pièces pour que les étrangers s’enrichissent. La mésinformation au sujet des effets secondaires possibles des deux vaccins est également courante. Début janvier 2020, l’un des centres a eu connaissance d’une rumeur prétendant que l’un des vaccins contre Ebola affectait la fertilité féminine. En réaction, une campagne de sensibilisation en cascade a permis de convaincre 67 personnes de se faire vacciner à Butembo.

La coordination est essentielle

La coordination et le partage d’informations claires entre les ONG, les agences onusiennes et les institutions gouvernementales sont essentiels à toute réponse, d’autant plus en situation de crise liée à Ebola lorsqu’une intervention rapide et efficace est nécessaire pour endiguer la transmission. Inversement, un manque de coordination entre les acteurs de la réponse peut mener à la duplication des structures et des activités.

Grâce à des ajustements du plan de réponse, à d’importantes réformes de la structure de coordination gouvernementale 3. Au deuxième semestre 2019, le gouvernement de la RDC a nommé le Dr Muyembe, chercheur reconnu et spécialiste d’Ebola, à la tête du comité multisectoriel de la riposte à l’épidémie d’Ebola, et l’a placé sous l’autorité directe du président Tshisekedi. ainsi qu’à un mécanisme plus solide d’assistance et de coordination suivant la déclaration d’intensification à grande échelle en mai, la coordination s’est améliorée. Les ONG ont pu s’exprimer à l’occasion de forums de coordination stratégique, le coordonnateur des interventions d’urgence des Nations Unies pour la lutte contre Ebola nommé par le secrétaire général des Nations Unies a commencé à organiser des réunions exclusivement avec les ONG, et le SSRG a renforcé son soutien direct aux commissions techniques en insistant sur les découvertes anthropologiques.

Accroître la résilience aux futures flambées

La résilience communautaire à l’égard des futures flambées peut être consolidée uniquement en renforçant des structures existantes telles que les organisations locales et le leadership des communautés traditionnelles. À ce propos, Mercy Corps s’assure que les chefs traditionnels et/ou religieux sont inclus dans le processus d’engagement, par l’intermédiaire d’organisations locales, de structures communautaires comme les cellules d’animation communautaire (CAC) ou de groupes de soin bénévoles. Mercy Corps s’est appuyée sur l’avis des communautés pour élaborer les programmes à venir, et continuera d’accorder une place centrale aux structures communautaires préexistantes.

En raison de la forte mobilité de la population, et particulièrement dans une situation de conflit, il convient de poursuivre les actions de lutte contre Ebola avec la même intensité et de maintenir les capacités de réponse dans les régions à haut risque jusqu’à la fin de l’épidémie, y compris là où le virus semble être sous contrôle. Fin 2019, le gouvernement a entamé une concertation de haut niveau au sujet de la transition post-Ebola, et le plan stratégique de réponse le plus récent a intégré des priorités visant à appuyer la réponse sanitaire. Il s’agit, entre autres, de satisfaire les besoins au-delà du virus Ebola, par exemple l’accès aux services essentiels en matière de santé, d’éducation, ainsi que d’eau et d’assainissement. Le plan de transition post-Ebola est axé sur trois domaines clés : consolider les systèmes de santé pour cette épidémie et celles à venir ; adopter une démarche multisectorielle pour satisfaire d’autres besoins fondamentaux ; et contribuer à la stabilisation, la cohésion sociale et la gouvernance, le tout à l’échelle locale, afin de relier les phases d’urgence et de développement.

Alors que le stade post-Ebola approche, nous devons également tenir compte des survivant·e·s et de leur famille. D’autres actions sont nécessaires pour aider ces dernier·ère·s, qui sont plus de mille, à surmonter la stigmatisation et pour favoriser leur réintégration sociale. Mercy Corps travaille à la conception d’une stratégie post-Ebola comprenant le rétablissement rapide, qui consiste par exemple à fournir des moyens de subsistance aux familles affectées par Ebola et à contribuer au renforcement des capacités chez les organisations autochtones. Les programmes actuels et futurs de Mercy Corps mettent l’accent sur trois régions d’intervention principales (Butembo, Beni et Katwa), les plus touchées par la flambée et rassemblant 72 % des survivant·e·s. La stratégie post-Ebola en cours d’ébauche à Kinshasa doit être réaliste et répondre aux principales interrogations observées en sondant les communautés. Mercy Corps et d’autres ONGI mettent actuellement en œuvre un plaidoyer en faveur de deux sièges supplémentaires pour les ONGI dans les concertations sur la stratégie nationale de sortie. Comme l’a prouvé cette crise, l’engagement communautaire qui va de concert avec la coordination est un facteur indispensable pour lutter et vaincre l’épidémie d’Ebola.

Marcela Ascuntar est spécialiste en coordination stratégique chez Mercy Corps pour la réponse à l’épidémie d’Ebola en RDC.

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