Issue 77 - Article 2

Une norme complète, décentralisée et intégrée en matière de qualité des soins pour réduire la mortalité liée au virus Ebola

août 11, 2020
Richard Kojan, Papys Lame, Eric Barte de Sainte Fare, Valérie Chanfreau, Mélanie Tarrabeau et Nicolas Mouly
Au centre de transit intégré de Kalunguta, ces deux « garde-malades » sont des patientes qui ont reçu l’autorisation de sortie du centre de traitement Ebola de Katwa après leur guérison.
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Depuis 2014, l’Alliance for International Medical Action (ALIMA, l’alliance pour une action médicale internationale) a contribué à gérer la réponse à plusieurs flambées d’Ebola. Dans le Nord-Kivu et l’Ituri, malgré la mise en œuvre de recommandations tirées d’une analyse d’épisodes précédents, aucune amélioration significative du taux de létalité n’a été observée. En Guinée par exemple, entre 2014 et 2016, ce taux était de 66,7 % 1 Consultez https://www.who.int/csr/disease/ebola/situation-reports/fr/  ; dans la flambée actuelle (la dixième) en République démocratique du Congo (RDC), il s’élève à 65,9 %.

ALIMA promeut une approche plus souple, complète, intégrée et axée sur les patient·e·s, dans l’optique de diminuer la mortalité. Cette approche vise à renforcer la qualité des soins en s’appuyant sur trois axes principaux :

  • La qualité des soins cliniques dans les centres de traitement Ebola (CTE) pour les cas confirmés.
  • Des activités de sensibilisation ainsi que des normes de conduite décentralisées et intégrées pour tou·te·s les patient·e·s, y compris pour les cas présumés.
  • La qualité des soins prodigués aux survivant·e·s du virus Ebola et leur intégration au système de santé afin d’assurer une surveillance et un suivi adéquats.

La qualité des soins cliniques dans les centres de traitement Ebola

ALIMA a mis au point une norme de soins optimisée pour les patient·e·s atteint·e·s du virus suite à la flambée en Afrique de l’Ouest. Lorsque la maladie à virus Ebola a été découverte, les normes de gestion clinique dataient de 40 ans en arrière. Depuis lors, ALIMA a élaboré de nouvelles normes en matière de qualité des soins afin de réduire la disparité entre les soins proposés dans les pays occidentaux et dans nos régions d’intervention. La création de la chambre d’urgence biosécurisée pour épidémies (CUBE) nous a permis de prodiguer des soins approfondis tout en améliorant la protection des professionnel·le·s de santé. Les directives « Soins de supports optimisés pour la maladie à virus Ebola », révisées en janvier 2019, définissent clairement les normes nécessaires en matière de qualité des soins, y compris la réanimation hydro-électrolytique, la surveillance et la correction des électrolytes, le traitement des co-infections potentielles, la nutrition et la prise en charge des complications 2. OMS. 2019. Soins de support optimisés pour la maladie à virus Ebola – Procédures de gestion clinique standard. .

Afin de respecter ces normes, les CTE nécessitent également du personnel formé ainsi qu’un équipement médical adapté et suffisant. Même si la CUBE aide à assurer la protection contre la contamination, il est indispensable de mettre en place des ressources dédiées et des protocoles clairs, ainsi que de mobiliser du personnel ayant une formation spécifique en biosécurité. Enfin, le dernier aspect permettant de respecter ces normes réside dans le recrutement à l’échelle locale, la formation et la participation des survivant·e·s de la maladie à virus Ebola.

Nouveaux traitements et recherches cliniques

En plus des directives de soins de supports optimisés, quatre produits ont été utilisés pour traiter les personnes infectées par Ebola dans le cadre du protocole MEURI (utilisation surveillée en urgence des interventions expérimentales non enregistrées et expérimentales). Ce protocole éthique est conçu pour évaluer le potentiel de médicaments expérimentaux lors d’urgences de santé publique. Il a été mis en place par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) après la flambée d’Ebola en Afrique de l’Ouest 3 OMS. 17 mai 2018. «Consultation on Monitored Emergency Use of Unregistered and Investigational Interventions for Ebola Virus Disease (EVD)». Disponible sur : https://www.who.int/emergencies/ebola/MEURI-Ebola.pdf?ua=1 .

En raison de l’incertitude quant au produit le plus efficace, un essai contrôlé randomisé a été mené entre novembre 2018 et août 2019 par le consortium de recherche PALM. Les résultats préliminaires indiquaient clairement que les patient·e·s qui recevaient les médicaments mAb114 ou REGN-EB3 avaient de plus grandes chances de survivre que ceux prenant les deux autres produits 4 Équipe d’étude du consortium PALM. 27 novembre 2019. «A Randomized, Controlled Trial of Ebola Virus Disease Therapeutics». New England Journal of Medicine [en ligne]. Disponible sur : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1910993 .

Si les résultats de l’essai ont contribué à accroître le taux de survie, il est important de poursuivre les innovations afin d’améliorer les soins. L’une des priorités essentielles est de découvrir de nouveaux moyens de gérer l’insuffisance rénale aiguë, une cause fréquente de décès chez les patient·e·s atteints d’Ebola. Les résultats des recherches cliniques mis en pratique immédiatement après le début d’une flambée devraient eux aussi contribuer à améliorer l’efficacité des traitements et à approfondir les connaissances au sujet des agents pathogènes infectieux.

Intégration de normes de qualité des soins cliniques

La prestation de soins optimisés aux patient·e·s atteints d’Ebola ne doit pas entraîner la négligence du système de santé existant. En vue d’éviter ce risque, les CTE doivent être installés au sein des infrastructures de santé existantes. ALIMA a établi deux des CTE dont elle assure la gestion dans l’enceinte des hôpitaux généraux de Beni et Mambasa. Cette intégration des CTE dans les structures de santé existantes consolide les systèmes de santé nationaux, renforce la formation des professionnel·le·s de santé publique (qui constituent la majorité du personnel des centres de traitement) et étend le vivier de compétences. Elle aide aussi à assurer la continuité des soins chez les personnes dont le test de dépistage à Ebola se révèle négatif. Par exemple, plusieurs femmes enceintes admises en tant que cas Ebola présumés dans les CTE ont bénéficié d’une césarienne d’urgence en toute sécurité, avant d’être orientées vers la maternité pour une surveillance postopératoire et des soins néonatals.

On ne peut envisager de baisse de la mortalité sans une sensibilisation adéquate et des soins décentralisés en vue de réduire le délai entre l’apparition de symptômes et l’admission dans un centre de traitement. Néanmoins, les faibles chances de survie et l’isolement des CTE ainsi que de leurs patient·e·s font circuler des rumeurs et provoquent la peur. Les personnes retardent alors leur venue dans un CTE ou refusent d’y être orientées ; et tout retard dans le traitement est associé à une mortalité plus élevée. L’étude PALM en RDC montre que « dès l’apparition des symptômes, la probabilité d’un décès augmentait de 11 % d’une flambée devraient eux aussi contribuer à améliorer l’efficacité des traitements et à approfondir les connaissances au sujet des agents pathogènes infectieux.

Intégration de normes de qualité des soins cliniques

La prestation de soins optimisés aux patient·e·s atteints d’Ebola ne doit pas entraîner la négligence du système de santé existant. En vue d’éviter ce risque, les CTE doivent être installés au sein des infrastructures de santé existantes. ALIMA a établi deux des CTE dont elle assure la gestion dans l’enceinte des hôpitaux généraux de Beni et Mambasa. Cette intégration des CTE dans les structures de santé existantes consolide les systèmes de santé nationaux, renforce la formation des professionnel·le·s de santé publique (qui constituent la majorité du personnel des centres de traitement) et étend le vivier de compétences. Elle aide aussi à assurer la continuité des soins chez les personnes dont le test de dépistage à Ebola se révèle négatif. Par exemple, plusieurs femmes enceintes admises en tant que cas Ebola présumés dans les CTE ont bénéficié d’une césarienne d’urgence en toute sécurité, avant d’être orientées vers la maternité pour une surveillance postopératoire et des soins néonatals. 

On ne peut envisager de baisse de la mortalité sans une sensibilisation adéquate et des soins décentralisés en vue de réduire le délai entre l’apparition de symptômes et l’admission dans un centre de traitement. Néanmoins, les faibles chances de survie et l’isolement des CTE ainsi que de leurs patient·e·s font circuler des rumeurs et provoquent la peur. Les personnes retardent alors leur venue dans un CTE ou refusent d’y être orientées ; et tout retard dans le traitement est associé à une mortalité plus élevée. L’étude PALM en RDC montre que « dès l’apparition des symptômes, la probabilité d’un décès augmentait de 11 % chaque jour où la personne ne se présentait pas au centre de traitement ».

Encourager la santé individuelle, ciblée et axée sur les patient·e·s

La mobilisation de la communauté doit être axée sur les patient·e·s, ce qui signifie que la famille, les ami·e·s et les autres contacts autour d’un cas confirmé doivent, eux aussi, être considérés comme des patient·e·s. Ils subissent un stress considérable et présentent un risque élevé de tomber malades et de décéder si les mesures adéquates ne sont pas prises. Ils doivent être surveillés individuellement, en prenant en considération leurs propres problèmes et caractéristiques.

Les approches actuelles vis-à-vis de la mobilisation de la communauté au Nord-Kivu ne respectent ni la confidentialité ni les dynamiques locales. En tant que telles, elles sont improductives et ne réduisent pas les retards au niveau des admissions. De même, si les définitions larges des cas peuvent avoir un effet positif sur la détection de ces derniers, elles ne sont pas adaptées à la communauté. La mobilisation communautaire doit être appréhendée comme un facteur d’incitation afin d’aider chaque individu à assurer son propre suivi et à agir comme guide auprès d’autrui. L’organisation de visites pour des familles, des groupes communautaires spécifiques et des chefs de communauté dans les CTE peut être efficace à cet égard, en parallèle de mesures visant à rendre la surveillance des contacts plus acceptable. Même s’il peut être tentant de recourir à des experts en communication afin de diffuser des messages au sujet d’Ebola, il est essentiel que cette communication soit portée par les communautés, les familles et les ami·e·s, et par le biais de chefs de communauté influents. Si les chefs religieux ne peuvent pas devenir des agents de santé pour la réponse à Ebola, ils seront à même de transmettre les messages pertinents. Ces chefs comprennent les dynamiques locales et traditionnelles, et savent mieux que les acteurs externes quels messages auront le plus d’impact.

Centres de transit intégrés et décentralisés

Les centres de transit intégrés (CTI) mis en place lors de flambées précédentes ont été à nouveau employés dans le Nord-Kivu. Dans le modèle des CTI, une partie de la responsabilité liée à la prise en charge est incorporée au système de santé local. Le but est de permettre aux professionnel·le·s de santé autochtones de superviser les cas suspects tout en préservant une prestation de soins de santé adaptée aux besoins de la communauté. Cette stratégie rapproche les communautés de la prise en charge des cas suspects, au sein d’une structure et à l’aide d’un personnel de santé que la population connaît. Par exemple, le premier CTI que nous avons installé au centre hospitalier Sainte Famille de Mukuna gère désormais les cas d’Ebola dans une unité de six lits, sans assistance extérieure. Après deux ou trois mois de formation et de supervision, les professionnel·le·s de santé de l’hôpital sont désormais aux commandes.

Si les CTI se chargent des cas suspects, la détection des cas ne s’améliorera que si l’établissement d’accueil propose un large éventail de soins. L’accès à des soins de santé standard crée un facteur d’incitation qui permet de toucher un grand nombre de patient·e·s. Le triage à l’admission permet d’hospitaliser toute personne malade correspondant à la définition d’un cas d’Ebola pour effectuer un dépistage et assurer sa prise en charge. L’orientation des personnes est plus rapide, ce qui rompt la chaîne de transmission, réduit la durée d’isolementet atténue le risque de mortalité. Cette approche contribue aussi à soutenir des infrastructures de santé plus importantes et limite l’augmentation de la mortalité due à d’autres maladies.

Des soins complets pour les survivant·e·s du virus Ebola

En date du 10 janvier 2020, on comptait 1 122 survivant·e·s du virus Ebola dans le Nord-Kivu et l’Ituri. On sait trois choses à propos des survivant·e·s de ce virus. Tout d’abord, la plupart des patient·e·s sorti·e·s des CTE après leur guérison présentaient des symptômes ou des problèmes de santé dus au virus. Ils·elles entrent dans une phase chronique de la maladie à virus Ebola, après la phase critique gérée au sein des CTE. Parmi les symptômes les plus courants figurent des douleurs musculosquelettiques (50–70 %), des troubles ophtalmiques, des douleurs abdominales, des maux de tête, l’asthénie, la perte de mémoire et d’audition, et des problèmes psychiatriques. D’après une étude de cohorte effectuée en Guinée, dans l’année suivant l’autorisation de sortie d’un CTE, les survivant·e·s d’Ebola étaient cinq fois plus susceptibles de décéder que d’autres Guinéen·ne·s 5 Mory Keita et al. 4 septembre 2019. «Subsequent Mortality in Survivors of Ebola Disease in Guinea: A Nationwide Retrospective Cohort Study». Lancet Infectious Disease [en ligne], volume 19:1202–1208. Disponible sur : https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(19)30313-5/fulltext .

Un suivi médical régulier est essentiel pour s’assurer que les répercussions d’Ebola sont gérées à temps, c’est-à-dire immédiatement après la sortie d’un CTE. Une équipe pluridisciplinaire associant tous les axes de suivi devra proposer des services de santé à proximité des patient·e·s. Les structures de santé primaires et secondaires doivent disposer de médicaments et d’équipement adéquats, à la fois pour les contrôles de routine et les consultations spécialisées ; leur personnel de santé doit bénéficier d’une formation complémentaire et leurs technicien·ne·s de laboratoire d’un formation à la biosurveillance. En cas de complications, l’orientation des malades doit suivre la pyramide de santé classique afin de prodiguer des soins spécialisés aux malades.

Les personnes guéries de la maladie à virus Ebola dans un centre de traitement présentent un risque élevé de développer des troubles psychologiques, et elles requièrent un suivi approprié. Les problèmes psychologiques signalés incluent l’anxiété, la dépression, les troubles du sommeil et les manifestations neuropsychiatriques. D’autres signes, tels que la dysfonction érectile, l’aménorrhée et une baisse de la libido, ont également été rapportés. Les patient·e·s sorti·e·s d’un CTE doivent recevoir un soutien psychologique, bénéficier d’une thérapie cognitivo-comportementale et d’une thérapie familiale, et faire l’objet d’un accompagnement psychoéducatif.

Les individus affectés, ainsi que la famille des personnes guéries ou décédées peuvent également présenter des troubles psychosociaux, qui devront être traités. Les personnes guéries et affectées peuvent en outre être socialement stigmatisées, voire exclues de leur communauté. La principale difficulté rencontrée sur le plan socio-économique par les survivant·e·s est la perte d’emploi, avec une hausse particulière de la vulnérabilité chez les femmes et les jeunes dans les familles dont un membre est décédé des suites du virus Ebola. Un accompagnement social est donc nécessaire pour réduire la stigmatisation et la vulnérabilité socio-économique dans ces groupes.

Intégration dans le système de santé des soins chroniques liés au virus Ebola

À ce stade, où la recherche médicale n’est pas aussi avancée que les essais cliniques pour des thérapies ou des vaccinations, la plus grande certitude est que les patient·e·s guéri·e·s et ayant reçu une autorisation de sortie d’un CTE nécessiteront une supervision médicale dans l’optique d’atténuer le risque de décès et d’augmenter les chances de réintégration. Ce suivi ressemble au traitement ambulatoire des patient·e·s et doit donc être intégré dans le système de santé, comme pour toute autre maladie chronique.

On ne peut espérer réduire la mortalité liée au virus Ebola sans répondre à la flambée du virus en adoptant une approche axée sur les patient·e·s. Le mieux que l’on puisse alors espérer est de restreindre la propagation de nouveaux cas. D’après ALIMA, la prise en charge clinique adaptée d’une personne atteinte d’Ebola débute le jour où son cas est confirmé, et se termine le jour où la charge virale est nulle et où plus aucun symptôme n’est observé, ce qui peut prendre plusieurs années. La prise en charge clinique des cas confirmés s’est également améliorée, mais le retard entre l’apparition des symptômes et l’admission dans une unité de traitement reste le principal risque pouvant entraîner la mort. En vue de réduire ce retard, la communauté et les acteurs locaux doivent se voir confier davantage de responsabilités.

Enfin, la recherche médicale doit se poursuivre et se concentrer sur des solutions innovantes. Ainsi, un test diagnostique rapide écourterait le délai entre l’admission et le diagnostic (de deux jours à quelques heures), ce qui représente un gain de temps précieux pour commencer le traitement. Cela contribuerait également à diminuer l’orientation des cas non confirmés vers les CTE et à une meilleure prise en charge clinique des cas non liés à Ebola. Un diagnostic précoce pourrait par ailleurs éviter à un contact de tomber malade en lui administrant une prophylaxie post-exposition, sur la base des deux médicaments dont l’effet de réduction de la mortalité a été prouvé chez les patient·e·s confirmé·e·s.

Le Dr Richard Kojan est médecin anesthésiste en soins intensifs, président d’ALIMA et l’un des membres fondateurs de la solution innovante CUBE. Le Dr Papys Lame est responsable médical pour le service des urgences et ouvertures, Eric Barte de Sainte Fare est responsable des programmes de R&D, Valérie Chanfreau est référente en santé mentale, Mélanie Tarabbo est coordonnatrice des situations d’urgence et directrice de la R&D dans le domaine médical, et Nicolas Mouly est responsable du service urgences et ouvertures, tou·te·s chez ALIMA.

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